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les deux parties gardent leur position, l’une disant : « Je n’exécuterai pas votre jugement, » l’autre répliquant : « Si vous ne l’exécutez pas, nous quittons l’Égypte. » En désespoir de cause, le gouvernement vice-royal vient de s’adresser encore une fois à l’Europe. Une circulaire aux consuls explique les motifs de sa résistance. À son avis, le tribunal aurait commis un excès de pouvoir parce qu’il met en question une « prérogative souveraine dans ce qui constitue son essence : la puissance législative. » Or quelle différence y a-t-il en Égypte entre la puissance executive et la puissance législative ? Aucune. Selon le cas, le gouvernement est exécutif ou législatif ; il lui suffit d’avoir besoin d’être l’un ou l’autre. C’est un simple changement d’habit.

Cette considération détruit tous les sophismes. Il importe peu de prévoir la fin de ce différend. L’Europe ne peut pas plus que l’Égypte dicter ou réformer les décisions des magistrats. Le parti le meilleur serait de s’entendre. Les créanciers de son altesse ont un gage, mais le vice-roi n’est pas disposé à leur en faire abandon. Il ne servirait de rien de se renvoyer des accusations de mauvaise volonté ou de mauvaise foi, et quand on aurait prouvé que le gouvernement d’Ismaïl-Pacha n’a pas tenu ses engagemens, on ne serait pas plus avancé. Le gouvernement égyptien montre l’intention de régulariser ses finances, il prend des mesures qui peuvent réaliser cette intention. Tenons-lui compte de sa bonne volonté, accordons lui terme et délai. On offre une consolidation générale de la dette entière avec un intérêt de 7 pour 100 et une bonification dans certaines conditions particulières. On prend une échéance fixe au mois de janvier 1877 pour le paiement d’un premier coupon ; cette combinaison est rassurante, surtout si le conseil suprême du trésor dont nous avons parlé est réellement investi d’une surveillance sérieuse. L’Égypte est une féconde nourrice : qu’on ménage ses ressources, qu’on cesse de l’épuiser, et bientôt elle aura réparé ses forces. La bonne administration de la justice et la bonne administration des finances peuvent être garanties désormais parce qu’elles sont remises entre les mains d’Européens. C’est là qu’est le salut. En prenant ces mesures héroïques qui limitent son autorité absolue, le vice-roi a prouvé qu’il comprenait l’étendue de ses devoirs et qu’il est digne, malgré des erreurs inhérentes à un pouvoir irresponsable, de succéder au glorieux fondateur de la dynastie égyptienne.


Paul Merruau.