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chacun a été libre de se présenter; tous enfin, sauf quelques rares exceptions, ont suivi les cours de l’école navale. Ainsi donc le point de départ est l’unité d’origine, d’éducation, et dès le début aussi s’établit le lien puissant de la camaraderie de promotion. Dans les grades d’aspirant et d’enseigne, nos officiers parcourent toutes les mers du globe, se pénètrent des traditions du service et de la discipline, et se créent enfin le sens marin, cette seconde nature, cet instinct nécessaire qui ne s’acquiert que dans la jeunesse. A vingt-sept ans, l’officier de marine est lieutenant de vaisseau. Le voilà chef de quart en escadre, responsable pendant la durée de son service du vaisseau qui lui est confié et de la vie des 600 hommes qui le montent. Qu’un incident de mer imprévu se produise tout à coup, la nuit, de mauvais temps peut-être, son jugement doit non-seulement décider à l’instant quelle manœuvre doit être faite, mais, sous peine de désastre, son instinct doit également deviner, comme il aura à le deviner dans le combat, quelle va être la manœuvre des vaisseaux qui l’entourent. La décision prise, il faut encore, si le vaisseau est à la voile, que l’officier de quart transmette sa volonté à 300 hommes d’équipage et la fasse exécuter avec ordre et promptitude. On conçoit comment sont faits les hommes qui, pendant de longs mois, traversent journellement et victorieusement cette épreuve, la véritable école de la guerre. Ils sont bons à tout. Les chefs marquent d’une croix ceux dont le jugement a donné à plusieurs reprises des preuves d’erreur, car le manque de jugement, malheureusement très compatible avec l’éducation mathématique, est un mal dont on ne guérit pas et qui entraîne sur mer de terribles conséquences. Cette croix les suit à leur insu dans leur carrière. Le nombre de ces parias est heureusement très restreint, car en toutes choses ce sont bien plus les occasions qui font les hommes que les hommes qui manquent aux occasions. Avant de monter en grade, le lieutenant de vaisseau exerce presque toujours le commandement, non pas seulement d’un quart, mais celui d’un navire. Mis ainsi, à l’âge où l’homme et son intelligence sont dans leur pleine vigueur, en face des responsabilités les plus diverses, il faut qu’il montre à la fois toutes les aptitudes du commandement maritime et militaire. Il faut qu’il soit bon administrateur, il faut qu’il ait la dignité, la fermeté et le tact nécessaires pour représenter la France à l’étranger. Il faut tout cela, et quand on songe qu’aucun embarras n’a jamais été causé par l’exercice de ces fonctions si diverses, que ce droit d’administrer, par exemple, de faire les achats, de passer les marchés, de signer les traités, n’a jamais donné lieu à aucun abus, on peut affirmer que la confiance illimitée qu’inspire le corps d’officiers de la marine est bien placée, et qu’il est une de ces institutions précieuses dont un pays peut être justement fier.