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A mesure que les peuples s’enrichissent, le capital est à meilleur marché, le salaire plus élevé, en vertu de la loi connue que l’abondance de l’offre fait baisser les prix, et que l’abondance de la demande les fait monter. C’est ainsi que nous nous acheminons naturellement vers un état social meilleur, où finira sans doute par régner la concorde ; les mouvemens socialistes factices ne font que retarder cet inévitable progrès. Qui sait si on ne le comprendra pas mieux et plus vite en Allemagne que partout ailleurs, à cause même de la violence des efforts qu’y font de prétendus réformateurs pour atteindre l’impossible ? Qu’on se souvienne enfin que le pays transrhénan est celui où l’instruction populaire et professionnelle est le plus répandue, où l’enseignement supérieur est le plus florissant, si bien que les découvertes faites par tant de savans illustres dans les laboratoires des universités trouvent dans les usines des intelligences toutes prêtes à les appliquer, et que telle vérité, démontrée par un Liebig ou un Helmholtz, fait jaillir la richesse de quelque source demeurée inconnue.

Ce n’est pas pour consoler nos voisins, c’est pour nous mettre en garde contre des illusions dangereuses que nous constatons ces faits indéniables. On ne peut, sans faire de sérieuses réflexions, voir des écrivains allemands, tout en donnant acte des folies qui viennent d’être commises, prédire à leur pays une longue prospérité. Ainsi fait M. Karl Richter dans une étude sur l’Industrie en Allemagne et en Autriche, à laquelle les préoccupations politiques du moment donnent un singulier intérêt, car M. Richter associe dans le même avenir l’Allemagne et l’Autriche, et il assigne à celle-ci la tâche d’ouvrir et de s’approprier la grande route danubienne vers l’Orient. Son patriotisme germanique proteste contre l’ambition slave, il rappelle que l’Autriche, cette marche allemande de l’est, a jadis implanté aux bords du moyen Danube la race, la langue, le génie de l’Allemagne, en secouant la torpeur du Slave endormi. Il répète, en les appliquant aux populations danubiennes, les paroles qu’un poète met dans la bouche d’Ottocar, parlant à ses Bohémiens : « J’introduirai l’Allemand dans votre peau, afin qu’il vous morde, et, à force de vous faire souffrir, vous réveille de votre stupidité. » C’est l’Allemand autrichien qui a fait fleurir aux bords du fleuve bleu le commerce et l’industrie. » Au temps où, en Angleterre, le paysan anglo-saxon était opprimé par le servage, où Paris n’était pas encore la capitale de la France, guerriers, marchands et poètes remontaient et descendaient le Danube. Le marchand russe, hollandais, bourguignon, venait à Ratisbonne, à Vienne, dans vingt autres villes, échanger ses produits contre les soies d’Orient et de Byzance, les pierres précieuses, les