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pressé de faire quelque chose pour le roi de Naples, il répondait vivement : « Le gouvernement napolitain est dans une singulière condition. Après avoir refusé à plusieurs reprises notre alliance, après avoir laissé passer le moment favorable pour asseoir son autorité sur une large base de politique nationale, entouré des dangers qu’il s’est créés, il change subitement de système et nous demande notre amitié. Dans quelles circonstances est faite cette demande? François II a perdu la moitié de son royaume; dans l’autre moitié, le peuple, rendu défiant par les procédés antérieurs du gouvernement, ne croit même plus à des ministres libéraux et en est à craindre d’entendre d’un instant à l’autre le canon de la réaction dans la rue. Et, pour détruire cet incurable sentiment de défiance, pour combler l’abîme ouvert entre le roi et le peuple, on demande à Victor-Emmanuel de se faire le garant du gouvernement napolitain, d’inviter François II à partager avec lui l’auréole de popularité qu’une politique ferme et libérale et le sang versé sur les champs de bataille ont procurée à la maison de Savoie!.. Le véritable ennemi du gouvernement napolitain est le discrédit où il est tombé !.. » Cavour pouvait ne pas convaincre toujours; il savait intéresser les uns, décourager les autres, laisser chez tous la vive impression de son ascendant, et, à force de souplesse, il finissait par échapper à l’Europe en la tenant au moins en suspens, en lui préparant de nouveaux faits accomplis à dévorer.

Il n’avait pas seulement affaire à des gouvernemens européens dont l’indécision et les divisions pouvaient le servir. Il avait en même temps à mesurer heure par heure sa politique à ce qui se passait en Sicile, à la marche de cette révolution qu’il couvrait de toute manière sans pouvoir l’avouer, dont il prétendait bien se réserver le dernier mot; il avait affaire à Garibaldi, et ici ce n’est plus le jeu de la diplomatie, c’est le drame fiévreux, étrange, compliqué, entre Turin et Palerme, entre le génie politique et l’instinct déchaîné sous la forme d’un chef d’aventures à travers le midi de l’Italie. Garibaldi était certainement sincère en prenant pour mot d’ordre : Italie et Victor-Emmanuel ! Il n’était pas de ceux dont d’Azeglio disait avec inquiétude qu’ils criaient : Viva Vittorio, en ajoutant tout bas : re provisorio, et en se promettant de faire surgir la république d’une convulsion. Il aimait sincèrement Victor-Emmanuel; mais il aimait le roi à sa manière, comme il poursuivait l’unité de l’Italie à sa manière, à tout risque, à outrance, — et dans cette entreprise nouvelle il portait ses passions, ses emportemens, ses aspirations indéfinies, ses complaisances pour les révolutionnaires, ses défiances, ses animosités personnelles. Vous me direz que, s’il n’avait pas eu tout cela, il n’aurait pas été Garibaldi, et s’il n’eût