Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 21.djvu/234

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
228
REVUE DES DEUX MONDES.

son manifeste de guerre. Le prince Gortchakof, de son côté, dans une circulaire adressée à toutes les cours, s’est chargé de commenter la résolution de son souverain. Le commandant en chef de l’armée du sud, le grand-duc Nicolas, a donné à son tour le signal de la marche en avant, et depuis quelques jours déjà, les Russes, après avoir franchi le Pruth, se hâtent à travers la Roumanie à la rencontre des Turcs. Les armées sont en présence en Asie comme sur le Danube. Les premiers coups de fusil ont été tirés autour de Batoum, vers la frontière de la Géorgie. De toutes parts se dessine l’attaque russe; la campagne est ouverte, et voilà cette éternelle question d’Orient livrée une fois de plus par l’initiative de la Russie au jeu sanglant des batailles, tandis que l’Europe stupéfaite en est encore à s’interroger sur les dernières péripéties d’où est sortie la guerre, sur le caractère de cette lutte nouvelle, sur les conditions où vont se trouver toutes les politiques.

Avant que l’inexorable signal fût donné officiellement, il y a quelques jours à peine, lord Derby parlait devant les pairs d’Angleterre en homme qui n’espérait plus et qui semblait même n’avoir jamais espéré beaucoup. Le chef de l’opposition dans les communes, lord Hartington, disait à son tour qu’il considérait depuis assez longtemps comme « peu probable que ce tissu compliqué de forces à demi civilisées, de rivalités fanatiques de races et de religions, d’intrigues politiques, pût être démêlé autrement que par l’épée... » C’était peut-être aussi le sentiment de bien d’autres qui, en travaillant ardemment, obstinément pour la paix, parce que la paix était l’intérêt souverain du monde, ne pouvaient se défendre d’une anxiété croissante à mesure qu’ils voyaient l’impuissance de la diplomatie se dévoiler, les symptômes inquiétans se multiplier, la situation tout entière s’aggraver. A vrai dire, c’est désormais une question de savoir si depuis le premier moment, depuis le jour où les insurrections de l’Herzégovine, de la Bosnie, ont éclaté et se sont développées, il n’y a pas eu une fatalité secrète déjouant tous les efforts pacifiques, conduisant en quelque sorte la crise d’étape en étape jusqu’au dénoûment. Oui, c’est une question de savoir s’il n’y a pas eu dès l’origine une préméditation plus ou moins déguisée d’intervention, si on n’a pas trop complaisamment cédé à la tentation de profiter des circonstances pour ressaisir l’initiative, la direction, la prépondérance dans ces affaires orientales malheureusement toujours ouvertes à toutes les entreprises.

Qu’on se souvienne un instant de cette série de faits qui se succèdent depuis deux ans, qui sont comme les préliminaires de la crise d’aujourd’hui. En 1875, les mouvemens de l’Herzégovine, de la Bosnie, se produisent; ils naissent, nous le voulons bien, des abus, des extorsions, des violences oppressives de l’administration turque ; ils sont aussi visiblement favorisés, soutenus par des influences extérieures. Presque aussitôt les trois empereurs du Nord se réunissent pour délibérer entre