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d’étain qui recouvre celui-ci. C’est, avec l’étiquette et la signature du propriétaire, quand il la donne, une garantie pour l’acheteur. La plupart du temps, le vin est ainsi vendu en bouteilles au château même ; mais la fraude est ingénieuse et experte, elle imite tout, le bouchon, l’étampe, l’étiquette, la signature, et plus d’un vin qui porte les armes d’un château n’est jamais sorti des celliers ni des vignobles de ce castel, voire de la localité voisine.

C’est au cellier que veille le maître de chai, un grand personnage qui a conscience de ses hautes fonctions. Il vous ouvre solennellement la porte du temple, si vous arrivez accompagné d’un courtier connu ou avec une lettre du propriétaire de céans, vous fait même goûter le vin de la dernière vendange. Le maître de chai du château Lafi te est guindé, empesé, ne parle pas, un très bel homme, une taille, une tenue de gendarme ou de suisse de cathédrale. Il était au château avant que le baron, M. de Rothschild, en fît l’acquisition ; sa charge se transmet de père en fils ; il est plus que vous, il est plus que le maître du lieu : c’est le maître de chai. On dirait que le raisin ne peut mûrir sans son agrément, et que le vin n’arriverait pas à perfection s’il n’était là pour y veiller.

L’époque des vendanges en Médoc varie de la mi-septembre au commencement d’octobre ; elle s’ouvre quand on juge que le raisin est suffisamment mûr. Il n’y a pas de ban, chacun vendange à son jour. On appelle à ce moment des ouvriers supplémentaires qu’on loue au dehors. La vendange se fait avec discipline. Les coupeurs et les coupeuses, surveillés par un brigadier, s’avancent régulièrement le long des règes, en rangs de huit à la fois, détachent les grappes, les visitent soigneusement, les vident dans des paniers que des porteurs remettent à un char traîné par des bœufs. Le char contient deux cuves ou douils (dolium, tonneau). Une fois qu’ils sont pleins, le bouvier conduit son attelage vers le pressoir. Un commandant dirige tous les ouvriers, ce qu’on nomme la manœuvre. Au pressoir, le raisin est ordinairement égrappé soit avec un râteau ou trident, ou avec Une trémie dans laquelle se meut un rouleau cylindrique, soit sur une grille horizontale ; puis le raisin est foulé sous les pieds des vendangeurs, au son du violon qui les excite et les fait aller en cadence. On préfère cette manière antique, datant de Bacchus ou de Thespis « barbouillé de lie, » à tout autre mode de foulage mécanique, artificiel. Le travail intelligent de l’homme fait mieux ici que le travail inconscient de l’engin. Celui-ci est brutal, écrase le pépin, ce qu’il ne faut pas ; les pieds de l’homme sont souples, élastiques, ne compriment que le grain.

Le liquide obtenu du raisin, le moût, est vidé dans de vastes cuves et abandonné à la fermentation. Le cuvage fini, ce qui dure plus ou moins de jours, selon la nature, le degré de maturité du