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le 19 mai, fut acquitté ; il n’en fut pas moins reconduit à la Roquette et massacré rue Haxo.

À défaut du droit de défense, le barreau avait encore la possibilité de tout essayer dans l’intérêt de la justice ; il accepta ce devoir sans hésiter, et le bâtonnier de l’ordre obtint les permissions nécessaires pour voir l’archevêque, M. Deguerry et le père Gaubert. Il lui fallut « traverser les tribus armées qui campaient dans les couloirs de la sûreté, escalader des groupes d’enfans endormis, de femmes assoupies, d’hommes assouvis, et, au milieu des tonneaux, des brocs et des bouteilles, pénétrer jusqu’à quelque personnage important[1]. » Il vit Raoul Rigault, traînant son costume de commandant au milieu du parquet de la cour de cassation ; il vit Eugène Protot, délégué à la justice, qui siégeait dans le cabinet des gardes des sceaux comme dans une salle de cabaret ; il put entrer à Mazas, voir les otages, causer avec eux et leur donner un espoir qu’il n’avait peut-être pas lui-même. L’archevêque fut calme et résigné, M. Deguerry très expansif selon sa nature, le père Caubert inébranlable dans sa foi et persuadé que la France se relèverait de cette épreuve « plus chrétienne et par conséquent plus forte que jamais. » Ce fut le samedi 20 mai que M. Edmond Rousse s’entretint avec les otages ; il les quitta en leur promettant de revenir le mardi suivant.

La commune devait mettre obstacle à ce projet : cette visite fut la première et la dernière. Déjà tout était à redouter, car le 17 mai, le comité de salut public avait voté le décret meurtrier qui prescrivait la mise à mort des otages. La commune, attaquée dans sa bauge, allait user de tous moyens pour se défendre. « 22 mai 1871 : Les municipalités feront sonner le tocsin sans interruption dans toutes les églises, — Le secrétaire du comité de salut public : HENRI BRISSAC. » — Même date : « Le citoyen Fradet est prié de la part d’Andrieux de faire couper toutes les conduites d’eau qui aboutissent aux endroits où se trouvent les Versaillais ; même mesure à prendre pour les conduites de gaz. » — C’était la guerre sauvage qui commençait ; les malheureux otages de Mazas allaient savoir à quel degré d’insanité furieuse « la revendication des droits du prolétariat » pouvait parvenir.

Les surveillans étaient fort troublés, car l’un d’eux, nommé Bonnard, devenu ami intime de Garreau et élevé par lui au rang de greffier, avait dit en causant avec ses anciens camarades : « Rappelez-vous bien que, si les troupes de Versailles entrent dans Paris, la

  1. Discours prononcé par Me Rousse, bâtonnier de l’ordre des avocats, à l’ouverture de la conférence, le 2 décembre 1871, p. 34.