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des dictateurs qui déclamaient contre les riches profiter de leur court triomphe pour se donner toutes les jouissances, tout le luxe, et cela en tous les genres, que pouvait s’accorder le plus opulent et le plus blasé des sultans. Je ne mets pas ces hontes sur le compte de la démocratie, bien que les passions qu’elle développe n’y soient pas étrangères : elles représentent d’aussi monstrueux abus que ceux qu’on a vus chez les pires despotes et font paraître tout simples les Caligula et les Héliogabale, qui ne furent ni plus fous, ni plus débauchés que ces tribuns de la démagogie en délire. Mais les folies et les crimes sont moins encore des exceptions et des écarts que l’expression monstrueuse d’un mal commun. Il est dans la nature de la démocratie, pour peu qu’elle suive sa pente, de rechercher les satisfactions du superflu aussitôt qu’elle a le nécessaire, et peut-être même avant qu’elle ait le nécessaire, parce que c’est le moyen de se prouver et de prouver aux autres qu’on est quelqu’un : conséquence inévitable quand l’orgueil, concentré jadis en quelques-uns, s’est réparti sur tous en vanité. Vous nous proposez comme idéal une égalité constante dans un niveau stationnaire ; sachez que nous ne haïssons rien tant. Nous voulons monter, monter toujours. Mais ceci me mène à une dernière réflexion sur le rapport qui existe entre ce désir des jouissances et ces systèmes qui ont la prétention de résoudre ce qu’on nomme le problème social.

Dans toute une catégorie de ces systèmes, on retire le luxe aux riches. C’est le vieux communisme, comme l’entendaient les émules de la simplicité Spartiate.et de la vertu romaine. Les rêves de la loi agraire reposent sur cette donnée, qui réduit tout le monde au nécessaire. L’idée d’un salaire égal ou presque égal, qui ne dépasserait pas un certain maximum, pour toutes les conditions, relève de la même inspiration. Ce n’est pas le renoncement chrétien, l’origine de ces systèmes ne permet pas cette expression ; c’est le renoncement stoïque, faisant vœu de pauvreté universelle sur l’autel de la démocratie.

La démocratie, en accomplissant de nouveaux progrès, s’est en général dégoûtée de ces vieux rêves trop innocens qui avaient bien le mérite de punir le riche, mais qui donnaient au pauvre pour tout avoir et toute perspective une solde très modeste ou un coin de terre pour y planter des légumes. La démocratie, à partir de 1830 environ, s’est omise à faire des rêves plus conformes aux ambitions qui la poussent vers la conquête du bien-être. De nouveaux systèmes ont apparu. Ils se sont bien gardés de s’en tenir à réclamer les aises modestes d’un salaire amélioré et le petit jardin qui avait suffi à l’imagination de leurs naïfs prédécesseurs. Ils n’ont plus voulu que tout le monde fût pauvre, mais que tout le monde fût riche. Tous ces systèmes ne proclament pas l’égalité absolue ;