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Monsieur, l’autre avec la reine, n’auront que faire de se mettre en peine de rien et n’en auront pas une grande à rétablir les affaires… » Mazarin annonçait en même temps que les troupes qu’il avait levées étaient en marche et qu’il les suivrait dans deux jours. Le même jour, il écrivait à son familier l’abbé Fouquet[1] :

« Si mon retour devait produire les maux que croit M. le coadjuteur, je ne songerais jamais à rentrer en France ; mais j’espère qu’il n’en arrivera pas ainsi, et vous lui pouvez même insinuer que, s’il était vrai que ma perte fût inévitable, comme il le pense apparemment, il n’y trouverait pas son compte. J’attendrai de voir par votre première dépêche ce qu’il vous aura dit dans la conférence particulière que vous deviez avoir avec lui, et cependant je crois qu’il faut toujours l’entretenir et lui faire connaître que j’espère qu’il profitera de quelque bonne occasion de donner des marques de son attachement à la reine et de son amitié pour moi… »

La reine était dans une impatience extrême de revoir le cardinal et de le placer de nouveau à la tête des affaires. Mille intrigues se croisaient autour d’elle pour la détourner de cette pensée, mais elle leur opposait une résolution inébranlable. Le vieux Châteauneuf était à bout de manœuvres, et les plus habiles courtisans avaient échoué. Voici une lettre inédite de Le Tellier, qui se trouvait alors à Poitiers auprès de la reine, et qui peint mieux que tous les documens connus jusqu’à ce jour les dispositions de cette princesse à l’égard de son favori : « Je n’ai pas été obligé de dire mes sentimens à la reine sur le retour de son éminence, écrivait-il à une personne dont le nom est resté en blanc, tant parce qu’elle ne m’en a point pressé que parce que j’ai su que tout le monde lui en avait parlé, jusques à lui dire qu’on croyait que le cardinal l’avait ensorcelée ou qu’elle l’avait épousé. A tout cela, elle n’a fait aucune réponse, sinon que le cardinal était bon et sage, qu’il avait de l’affection pour l’état, pour le roi et pour elle, qu’il lui fallait laisser la conduite de cette affaire, vu que, s’il trouvait de l’inconvénient à revenir, il ne l’entreprendrait pas… » La reine ne se contenta pas d’exprimer tout haut ses sentimens en faveur du retour du cardinal ; elle dépêcha Bartet auprès de l’homme qui était le plus en état d’y mettre, obstacle, afin de le conjurer de s’y montrer favorable et de l’engager à se rendre à Poitiers, où se trouvait la cour. Bartet déclara donc au coadjuteur que la reine l’envoyait vers lui pour lui faire « part de la résolution qu’elle avait prise de faire revenir le cardinal, non pour lui demander son avis, mais pour le convier de s’employer pour faire que les choses se passassent doucement sur ce

  1. Sedan, 26 décembre 1651. Archives des affaires étrangères. France. Lettres de Mazarin, t. XXIX.