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par la grâce de Dieu ; ils ne m’ont pas ôté de la mémoire que j’ai succédé à l’honneur de leur ministère, que je me suis obligé d’être dans leurs maximes. Que si j’étais dans les sentimens de ceux que l’on appelle jansénistes, je devrais plutôt mourir dans le martyre que de corrompre par des considérations temporelles le témoignage de ma conscience. Que si j’étais contraire à leur opinion, je ne devrais pas pour cela trahir l’honneur de mon caractère qui m’apprend à ne le pas soumettre à des soupçons frivoles qui l’avilissent, et qu’en quelque manière que ce soit, je suis obligé par toutes sortes de devoirs de me conserver en état de répondre à la vocation du ciel, qui, apparemment, ne m’a constitué dans la capitale de la France et la plus grande ville du monde, que pour y assoupir un jour les divisions que cette multitude de savans, préoccupés de tous les deux partis, peut y faire appréhender avec beaucoup de fondement. Si j’avais été dans la plénitude de la fonction, il y a longtemps que, sous l’autorité du saint-siège, j’aurais décidé ces questions, et ce même esprit, qui est celui du repos et de la tranquillité de l’église, qui m’y aurait porté si j’eusse été en état, m’a obligé de ne point faire de pas en cette matière que ceux qui ont été absolument nécessaires pour empêcher la division… »

Il était impossible de se tirer plus habilement d’un pas si difficile, d’user de ménagemens plus adroits à l’égard des jansénistes et de la cour de Rome. Retz excellait à prendre ce ton de conviction et d’innocence dont il était le premier à se moquer en secret, devant ses plus intimes confidens, et qui fait un si étrange, contraste avec le cynisme de ses autres lettres à l’abbé Charrier.

« Cet esprit de paix, ajoutait-il, m’a obligé à rester dans ma condition présente et à ne pas « mêler ma voix, encore faible et presque impuissante, dans ces bruits tumultuaires et confus, qui diminuent toujours… de la créance que l’on doit prendre en un juge, mais qui l’étoufferaient pour jamais en l’occasion qui se présente aujourd’hui, dans laquelle il y aurait beaucoup d’apparence que les sentimens que je déclarerais me seraient plutôt dictés ou par mon ressentiment, ou par mon ambition que par ma conscience.

« Voilà, mon cher abbé, poursuivait le coadjuteur, la raison qui m’empêche de donner la déclaration qu’on me demande, et, à vous parler franchement, je ne puis croire que la proposition en vienne de sa sainteté. Elle m’a témoigné jusques ici trop de bonté pour me vouloir obliger à des choses qui blessent mon honneur, et toutes ces marques de bienveillance qu’elle m’a données depuis quatre ans, en souhaitant ma nomination, me persuadent qu’elle n’a jamais douté de la sincérité de mes sentimens.

« Dites, je vous prie, à ceux qui ne me font pas la même justice