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donc à tort que le cardinal de Retz a supposé dans ses Mémoires que son confident la fit voir à Rome et qu’elle y produisit un grand effet. Après plus de vingt ans, lorsqu’il rédigeait ses Mémoires, il ne se rendait pas compte que la date de cette lettre, écrite trois jours seulement avant sa promotion, excluait la possibilité qu’elle eût pu arriver à Rome en temps opportun. Pendant qu’il remuait ainsi ciel et terre pour conquérir le chapeau, il semait le bruit parmi les jansénistes qu’il ne faisait aucune démarche pour l’obtenir. Il soutenait même qu’il avait écrit à Rome « une lettre de mépris, mais si adroite, qu’il leur faisait bien voir qu’en ne le faisant pas cardinal ils n’y gagneraient pas[1]. »

A quelques jours de là, dans la lettre qui suivait, il quittait ces hauteurs et, faisant trêve d’éloquence, il reprenait sa liberté d’allure et son cynisme de langage, trop souvent digne du cardinal Dubois.

« J’ai été si occupé toute cette journée, lui écrivait-il le 23 février, et il est si tard que je ne puis vous envoyer encore par cet ordinaire les lettres de complimens que je vous avais promis par ma dernière. Vous les aurez par le premier ordinaire, ce qui sera, je m’imagine, assez à temps, puisque, selon les apparences, vous serez encore à Rome. Je ne doute point que vous n’ayez approuvé la résolution que j’ai pris sur votre retour. Il n’est pas possible que vous ne voyiez présentement clair à la promotion, et si elle ne se fait pas ce carême, je crois qu’elle (n’est) pas à espérer de longtemps. C’est à vous qui êtes sur les lieux à juger de la chose. Si elle est tout à fait éloignée, votre séjour serait à mon sens inutile et honteux ; si elle est proche, vous saurez bien vous ménager et vous faire prier de demeurer et faire toutes les coionneries nécessaires.

« J’ai vu par votre dernière lettre que l’on ne me demande plus à Rome de déclaration pour le jansénisme. Vous userez de la lettre que je vous ai envoyée sur ce sujet en la manière qui vous semblera le plus à propos. Il est bon, à mon sens, de ne la pas faire éclater tant que les remèdes forts et extraordinaires ne seront pas nécessaires. Surtout n’en donnez pas de copie ; je n’en ai donné aucune à Paris, quoique je l’aie montrée à beaucoup de gens. Prenez garde que, comme on a vu ici la lettre, qu’il n’y ait des gens qui mandent que l’on vous a envoyé une déclaration expresse en faveur du jansénisme. Ayez, s’il vous plaît, les yeux ouverts là-dessus et Voyez ce qu’il sera à propos de faire, car plutôt que de laisser croire cela, il vaudrait mieux la montrer. Enfin, sur toute

  1. Journaux manuscrits du docteur des Lions, solitaire de Port-Royal. (Communication de Sainte-Beuve).