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enseignées dans l’université, et il déclare que ce sont pour la plupart des viandes à la fois creuses et indigestes. Selon lui, la seule utilité de la faculté de philosophie, laquelle comprend les sciences et les lettres, est de fabriquer au prix courant des professeurs pour les gymnases. Qu’on abolisse les gymnases, et on pourra sans inconvénient supprimer les facultés de philosophie. Et quand on abolirait les gymnases, où serait le mal ? Qu’enseigne-t-on dans ces fameux gymnases ? De pures fadaises. La logique a été inventée par Aristote ; c’est tout dire. Et le latin, à quoi sert-il ? La littérature grecque a quelque mérite, mais elle a été trop vantée ; parmi ses titres de gloire figurent les misérables farces d’Aristophane, qui, vingt-trois siècles d’avance, s’est permis de décocher des lardons à l’inventeur de la socialité universelle. Ce que les Grecs ont fait de mieux, ce sont leurs statues, lesquelles par bonheur ne parlent pas grec. La philologie tout entière n’est qu’une anatomie de cadavres. Quant aux langues modernes, il est bon d’apprendre à les parler ; mais il faut bien se garder d’en faire une étude littéraire : qui nous délivrera de la poupée du bel esprit, von der schöngeistigen Puppe ? L’histoire, telle qu’on l’enseigne, « n’est qu’un long récit de chamailleries et un recueil de mensonges inventés à la gloire des princes. » Les mathématiques elles-mêmes gagneraient beaucoup à être débarrassées de tout le vain fatras dont on les encombre ; si on les ramenait à ce qu’elles ont de vraiment utile, on les réduirait à peu de chose. La chimie, les sciences naturelles, demandent aussi à être vigoureusement émondées ; elles s’en trouveraient bien, de même qu’on rendrait service au droit en supprimant la fastidieuse étude des Pandectes, et à la médecine en la simplifiant assez pour qu’on pût l’apprendre en deux ans[1]. Ô docteur, si savant que vous soyez dans l’histoire des découvertes des autres, ne seriez-vous point un barbare ? Que faut-il entendre par un barbare ? Un homme qui méprise ce qui ne sert à rien et qui est incapable de sentir l’utilité de l’inutile. Il est impossible de faire comprendre à certains peuples l’utilité de l’engrais ; par lui-même il ne produit rien, ne sert de rien, à cela près qu’il réchauffe et nourrit la terre. Ô docteur aussi insociable que socialitaire, dans la société de vos rêves les moissons seront maigres, faute d’engrais.

Jamais le vocabulaire de M. Dühring n’est plus riche, jamais sa phrase n’est plus touffue que lorsqu’il fait leur procès aux gens et aux choses qu’il n’aime pas. Que penserions-nous des universités allemandes, si nous croyions seulement le quart de ce qu’il en dit ? Il les représente tour à tour comme des foyers de pédanterie et d’obscurantisme, comme des boutiques où l’on ne vend que des marchandises fripées ou ava-

  1. Der Weg zur höheren Berufsbildung der Frauen und die Lehrweise der Universitäten, Leipzig, 1877, chapitres 4, 5 et 6.