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chance d’obtenir sur ceux-ci des renseignemens secrets dont on peut tirer parti. Clovis Briant vit Aimé au greffe de la Roquette, il s’intéressa à lui, voulut lui donner la haute main dans sa prison, et le 13 avril 1871 écrivit à Raoul Rigault pour lui demander d’accorder à son protégé une fonction à la maison d’éducation correctionnelle. Aimé fut immédiatement nommé entrepreneur des travaux de la Petite-Roquette ; pour lui c’était la liberté : il en profita et s’enfuit de Paris. Il se réfugia en province et prévint sans délai le préfet de police qu’il se tenait à ses ordres « pour se rendre dans telle prison qu’il lui plaira de lui indiquer afin de purger sa peine, car il ne peut et ne veut regarder comme régulière sa mise en liberté, prononcée illégalement par les agens de la commune. » L’administration prit d’urgence toute mesure pour obtenir une commutation de peine qui équivalait à une grâce entière.

Le poste de fédérés qui gardait la Grande-Roquette n’était guère composé que d’une soixantaine d’hommes ; on fut surpris de voir arriver, le lundi matin 22 mai, un détachement composé de six compagnies empruntées au 206e et au 180e bataillon, qui étaient fort redoutés dans ce quartier populeux, à cause de leur exaltation et de leur violence. Ces hommes s’établirent dans le poste, au premier guichet et dans la première cour. Ils étaient sous le commandement du capitaine Vérig, ouvrier terrassier, petit homme brun, sec, anguleux, nerveux, bondissant à tout propos, ayant des bras d’une longueur démesurée, ce qui lui donnait la démarche oscillante d’un quadrumane, âgé de trente-cinq ans environ, propre à toutes les besognes où il ne faut que de la cruauté et l’amour du mal. Il ne quittait point un long pistolet d’arçon qui lui servait à accentuer ses ordres ; il commandait : « En avant, marche, ou je fais feu ! » Il était de cette race si nombreuse d’hommes qui ne peuvent supporter d’autre autorité que celle qu’ils exercent eux-mêmes et dont ils abusent insupportablement. C’est François qui avait découvert Vérig, qui avait su l’apprécier, et lui fit confier le poste de la prison dès que l’exécution des otages eut été décidée.

Lorsqu’il avait pris possession de la prison, François y avait trouvé deux malheureux condamnés au dernier supplice, Pasquier et Berthemetz. Le 6 avril, la guillotine fut solennellement brûlée devant la mairie du XIe arrondissement parce que la commune répudiait « toute la défroque du moyen âge. » Il se rendit immédiatement dans la cellule d’un des condamnés, le félicita, lui prit les mains et se mit à danser avec lui[1]. Ce bon mouvement de

  1. Il avait fait enlever et transporter chez lui les cinq dalles qui servent de points d’appui aux montans de la guillotine. On les retrouva le 28 juin 1871, lors d’une perquisition opérée à son domicile, rue de Charonne, no 10. Il déclara avoir eu l’intention de les faire vendre en Angleterre comme objets de curiosité.