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poétique ou sacré qui est resté attaché aux noms du Parnasse et de l’Olympe, du Sinaï et du Carmel. Longtemps elles conservèrent ce caractère, Longtemps elles inspirèrent ce sentiment de vénération mêlée d’effroi dont l’expression se retrouve dans les poésies des races celtiques et slaves.

Le Mont-Blanc n’appartient pas à cet âge héroïque ; c’est une montagne de notre temps. Jusqu’au milieu du siècle dernier, les sites qu’il renferme furent peu connus, peu explorés des voyageurs. La découverte du Mont-Blanc, — ç’en fut une véritable, — ne commença guère qu’à l’époque même où la science, en expliquant les divers phénomènes des montagnes, en révélant les secrets de leur origine et les lois de leur formation, allait mettre fin à d’antiques erreurs. Ces premières explorations scientifiques du Mont-Blanc coïncidèrent avec le réveil de ce sentiment de la nature que, depuis le milieu du moyen âge, on avait pour ainsi dire désappris, et que Jean-Jacques Rousseau eut l’honneur de ressusciter sous une forme nouvelle. En même temps qu’un vaste champ d’expériences pour la science moderne, le Mont-Blanc devint pour les voyageurs, amis de la nature, chaque jour plus nombreux, une source inépuisable d’émotions vivifiantes.

M. Durier a écrit à la fois l’histoire scientifique et l’histoire pittoresque de la grande montagne moderne. Il en a raconté tous les phénomènes, décrit tous les aspects, si saisissans et si divers. Il a bien réussi à faire comprendre pourquoi, parmi tant de montagnes remarquables par la beauté de leurs sites, il n’en est pas de plus célèbres que les Alpes, « cet autel commun de l’Europe, » comme les appelle Michelet, ni de vallée plus fréquentée que la vallée de Chamonix, couchée au pied du Mont-Blanc, dont Jean-Jacques Rousseau et Lamartine, Hugo et Byron, Nodier et Théophile Gautier, ont dans des pages admirables dépeint la majesté sublime.

La vallée de Chamonix, dont les premiers habitans étaient d’origine celtique, comme l’attestent de nombreuses médailles, des inscriptions et des traditions locales, fut longtemps soumise à la domination romaine. On y pénétrait alors par deux routes encore suivies aujourd’hui des voyageurs, — le défilé de Servoz et la Forclaz de Prarion ; — l’inscription romaine dite de la Forclaz, qui remonte à l’an 74, au cinquième tribunat de Vespasien, en fait foi : on sait aussi qu’une voie militaire romaine pénétrait jusqu’au fond de la vallée d’Aoste.

En 1096, les bénédictins de l’abbaye piémontaise de Cluse fondèrent dans la vallée de Chamonix un prieuré qui, vers la fin du XIIIe siècle, passa sous la dépendance du chapitre de Sallanches et envoya des députés aux états de Faucigny. Au moyen âge, le prieuré prit de l’importance à la suite de la cession faite au nouvel établissement religieux par Aymon, comte de Genève, de toute l’étendue du pays comprise