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cellule, une forte porte en chêne ; il la fit ouvrir par le surveillant qui les accompagnait, et s’engagea dans l’escalier de secours, escalier étroit, en colimaçon, aboutissant à la galerie du quartier des condamnés à mort ; là, il montra du doigt la petite porte du premier chemin de ronde : Vérig eut un sourire, il avait compris. On parcourut ainsi toute la maison ; on constata que chacun des couloirs formant une section distincte est fermé à chaque extrémité par une énorme grille de fer, ce qui permet d’isoler les divisions et d’empêcher toute communication d’un étage à l’autre en cas de révolte, car les grilles sont si fortes, si puissamment scellées dans les pierres de taille que nulle force humaine ne parviendrait à les briser ou à les arracher. François donna encore quelques détails à Vérig ; il lui expliqua que « le bouclage, » c’est-à-dire la fermeture des cellules, se faisait régulièrement à six heures du soir. « Chaque jour, on promène les otages dans le chemin de ronde ; ils sont assez nombreux, quatre-vingt-seize gendarmes, quarante-deux anciens sergens de ville, quatre-vingt-quinze soldats de ligne, quinze artilleurs, un chasseur d’Afrique, un zouave, un Turco. » Après cette énumération, François ajouta : « tous capitulards ! » Cette longue tournée dans la Grande-Roquette, ces explications que Vérig avait semblé écouter avec un vif intérêt, avaient altéré les deux fauves ; ils allèrent s’abreuver chez le marchand de vin.

Ce même soir, vers dix heures, on entendit un grand bruit sur la place de la Roquette ; tous les cabarets avaient dégorgé leurs buveurs sur les trottoirs, les fédérés réunis devant la prison battaient des mains et criaient : « À mort les calotins ! » C’étaient les otages enlevés à Mazas qui arrivaient sur les durs chariots où ils avaient été secoués par les cahots, insultés par la populace, menacés par les gardes nationaux armés qui les escortaient. Un témoin oculaire raconte que Mounier, surveillant de Mazas, chargé de présider à ce transfèrement brutal, était « plus mort que vif, » tant il avait été ému par les injures dont ces malheureux avaient été accablés pendant leur très pénible route, sur des rues à demi dépavées, à travers des barricades et parmi les bandes qui vociféraient en leur montrant le poing.

Les deux voitures pénétrèrent dans la cour de la Grande-Roquette ; les otages descendirent et furent réunis pêle-mêle, dans le parloir éclairé d’une lanterne. François se réserva l’honneur de faire l’appel ; il y procéda avec une certaine lenteur emphatique, dévisageant l’archevêque, regardant avec affectation le père Caubert et le père Olivaint, car il voulait voir, disait-il, comment est fait un jésuite. Les formalités de l’écrou ne furent pas longues ; le nom des détenus ne fut inscrit sur aucun registre, on se contenta de serrer dans un tiroir la liste expédiée par le greffe de Mazas. Le reçu que