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s’agissait d’un crime portant atteinte à tous, comme une lâcheté, une trahison ou de quelque acte infâme pouvant déshonorer la nation tout entière.

Ainsi le châtiment du crime n’apparaissait le plus souvent que comme une satisfaction à donner à celui que ce crime avait atteint. Il convenait de lui accorder une réparation, car, s’il ne l’obtenait pas, il userait de tous les moyens pour assouvir sa vengeance. Suivant l’ancien droit germanique, les parens de celui qui avait été victime d’un meurtre étaient strictement tenus d’en poursuivre la vengeance sous peine de perdre leur titre d’héritiers et d’être voués à l’infamie. Ces vengeances remplissaient la société d’attentats et de luttes, et souvent c’était un second crime qui en châtiait un premier. Les coutumes des nations germaniques, même après qu’elles se furent régularisées et modifiées en s’inspirant d’une notion plus exacte de l’équité, gardèrent de nombreuses traces de cet état de choses ; seulement aux procédés brutaux pour obtenir vengeance furent substituées des formalités qui limitaient le droit de vindicte, tarifaient les dommages à payer pour l’offense, et arrivaient ainsi à remplacer des représailles arbitraires par une pénalité précise et fixe, mais dont le caractère demeurait encore souvent fort barbare. Quand, dans l’incertitude du droit, de la culpabilité, les hommes qui composaient la cour de justice ne laissaient pas les parties s’en remettre au sort des armes et donner des gages de bataille, ils demandaient au ciel de prononcer, c’est-à-dire qu’ils recouraient à quelque pratique superstitieuse par laquelle ils s’imaginaient obtenir la manifestation de la volonté divine, la déclaration de la vérité. On employait, pour découvrir le coupable ou celui dont on devait rejeter la demande, les ordalies, autrement dit les épreuves judiciaires, procédé qui se retrouve chez une foule de populations sauvages et ignorantes, et qui dispensait le juge d’une instruction criminelle. Les Francs et les nations issues de la même souche qu’eux se servaient des ordalies avant leur conversion au christianisme, et la religion nouvelle n’eut sur ce point d’autre effet que de substituer un procédé d’épreuves à un autre, une superstition empreinte des nouvelles croyances à la superstition qui avait originairement suggéré un tel moyen. Les épreuves judiciaires des temps païens devinrent le jugement de Dieu et la croix remplaça de vieux symboles.

La justice criminelle était donc singulièrement imparfaite durant la première période du moyen âge, et, entre nobles, elle se réduisait à tout instant au droit du poing, comme disaient jadis les Allemands. Alors même que les seigneurs n’abandonnaient pas la décision du litige au sort des armes et qu’au lieu de remettre à la