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L’extension de la justice royale, qui agrandissait incessamment son ressort, l’accroissement de l’autorité des baillis, qui enlevait au seigneur coupable de sévices envers son serf le jugement de celui-ci par l’application du principe que le seigneur suzerain peut retenir la cause que soutient le vassal par haine contre son homme, l’autorité de plus en plus respectée des prévôts royaux, qui reçurent les plaintes des serfs contre leur seigneur et réciproquement, enlevèrent aux cours de justice des barons la connaissance d’un grand nombre de crimes. Le principe de l’appel au bailli royal, à la cour du roi, même de la sentence du duc ou du comte, et l’intervention constante des magistrats de la couronne dans les litiges entre seigneurs firent pénétrer dans la procédure et la pénalité des justices seigneuriales les usages que les juristes qui se trouvaient dans le conseil du roi, ou que celui-ci choisissait pour ses baillis, avaient introduits. Plus instruits, plus vigilans, les magistrats et officiers de judicature du roi firent peu à peu par leurs sentences jurisprudence et autorité ; les juridictions royales donnèrent comme le ton en matière criminelle aux juridictions seigneuriales que l’institution des cas royaux avait dépouillées d’une partie de leur compétence. Les tribunaux seigneuriaux durent moins chercher à connaître des causes qui n’étaient plus pour le seigneur une égale source de profits, et la prévention donnée, dans une foule de cas, aux juges du roi fit affluer devant eux les causes criminelles, La multiplication de ces causes, la science approfondie des coutumes et des ordonnances qu’exigeait l’instruction des affaires, eurent pour conséquence de faire substituer graduellement aux pairs, aux hommes de fief, aux jugeurs, à ces véritables jurés dont le seigneur ou son préposé prenait originairement l’avis, des hommes de loi, assesseurs ordinaires du juge et dont celui-ci eut la désignation ou que le seigneur choisissait lui-même, souvent moyennant finance à lui payée. Le jugement par les pairs tomba en désuétude ou se réduisit à une fiction, comme ce fut le cas dans le parlement, dans la haute cour ou conseil souverain qui prit en divers comtés et duchés la place de la cour féodale, du tribunal du sénéchal. Le jury ne subsista que dans les contrées où, comme en Angleterre, on eut soin de distinguer, dans la sentence à rendre, la question de fait, sur laquelle tout homme pouvait prononcer, de celle de droit, qui était réservée au juge. Dans la plus grande partie de l’Europe continentale et surtout en France, le jugement des causes criminelles par des magistrats permanens, représentans du roi ou du seigneur, prévalut sur cet antique arbitrage des égaux réunis sous la présidence du chef hiérarchique. Alors, au lieu de la coutume traditionnelle ayant généralement son point de départ dans les institutions germaniques,