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force à l’accusé, et ils n’appliquaient l’enquête que lorsque celui-ci y avait consenti. L’enquête était trop défavorable à la défense pour que les prévenus l’acceptassent généralement, et il n’était pas rare de les voir se refuser à s’y soumettre. Les nobles surtout réclamaient contre une pratique qui portait atteinte à leurs privilèges et les mettait sur le même pied que les vilains ; en certaines provinces, l’Artois par exemple, ils réussirent à se soustraire complètement au nouveau mode de procédure. Convaincu de son utilité, le magistrat ne se fit pas scrupule de recourir à la contrainte pour arracher le consentement de l’accusé, et nous voyons par Beaumanoir que, pour y parvenir, il peut retenir quelquefois le prévenu en étroite prison, surtout si malvaise renommée labore (travaille) contre lui. Le célèbre légiste du XIIIe siècle pose même en principe que le magistrat peut enquérir quand même la partie ne voudrait pas se mettre en enquête.

Voilà comment la procédure secrète qui existait dans les tribunaux ecclésiastiques de droit commun et que les jurisconsultes de la célèbre école de Bologne avaient recommandée comme une tradition du droit romain, imités en cela par les professeurs d’autres universités, pénétra de plus., en plus dans les cours laies. Toutefois, sauf pour certaines causes d’un caractère exceptionnel, l’enquête ou inquisition n’eut pas dans ces cours la rigueur qu’elle offrait généralement dans les tribunaux ecclésiastiques et qu’elle prit surtout dans cette juridiction spéciale qui fut par excellence le tribunal de l’enquête rigoureuse et que pour ce motif l’on a appelée inquisition, La préoccupation excessive qu’eut l’église d’exterminer l’hérésie dont le progrès mettait en péril sa propre existence l’amena à s’éloigner, quand il s’agissait d’instruire le procès de ceux qui en étaient accusés, des règles d’équité et des habitudes de douceur qu’en d’autres cas elle avait fait prévaloir. Ainsi le droit canon voulait que les témoins à charge fussent contrôlés avec l’accusé, auquel les noms des témoins et des dénonciateurs devaient être communiqués ; c’est ce que décida notamment le quatrième concile de Latran. Le tribunal du saint-office fut dispensé de ces sages et justes formalités. Le pape Boniface VIII rendit un décret qui autorisait à ne communiquer qu’à l’évêque les noms des témoins, si, à raison de la puissance de la personne contre laquelle il était fait information, les enquêteurs estimaient qu’il y eût pour les déposans danger à être connus. C’était ouvrir la porte au plus funeste arbitraire. Les tribunaux laïques reculèrent en France devant un pareil moyen. Tout en adoptant, comme un grand nombre de contrées de l’Europe, comme le faisaient l’Allemagne et l’Italie, la procédure secrète, la magistrature française ne voulut pas autant dépouiller l’accusé de ses moyens de défense que le faisait l’inquisition ; la