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compagnie de Jésus, et enfin l’abbé Allard, l’aumônier des ambulances, qui, pendant le siège et lors des premiers combats de la commune, avait été si secourable aux blessés. Le peloton s’était arrêté à trente pas de ces six hommes restés debout et résignés. Ce fut Genton qui commanda le feu. On entendit deux feux de peloton successifs et quelques coups de fusil isolés. Il était alors huit heures moins un quart du soir. Dans cette exécution sans prétexte comme sans excuses, et qui n’est qu’un multiple assassinat, Genton, président de la cour martiale, représentait la justice comme la commune la comprenait ; Benjamin Sicard représentait la sûreté générale, c’est-à-dire la police telle que Théophile Ferré la pratiquait ; Vérig représentait l’armée de la guerre civile ; Mégy, acteur volontaire dans cette œuvre sans nom, représentait la haine sociale et les desseins qu’elle poursuit.

On a dit que chacun des misérables qui avaient fait partie du peloton d’exécution reçut une haute paie de 50 francs. Le fait est possible, et nous ne l’infirmons pas, quoique nous n’en ayons aucune preuve positive. Il est dans la tradition terroriste : aux massacres des prisons, en septembre 1792, « les travailleurs, » comme on les appela, touchèrent chacun un écu de six livres pour dédommagement de la perte de leur journée. Parlant de ces massacres, Robert Lindet a dit : « C’est l’application impartiale des principes du droit naturel. » Peut-être eût-il répété cette néfaste parole s’il eût compté les gens de bien étendus sans vie dans le chemin de ronde de la Grande-Roquette.

Lorsque le peloton sortit sur la place qui s’étend devant le dépôt des condamnés, la foule félicita les fédérés : « À la bonne heure, citoyens, c’est là de la bonne besogne ! » Vérig, plus agité que jamais, montrait orgueilleusement son pistolet d’arçon et disait : « C’est avec cela que j’ai achevé le fameux archevêque, je lui ai cassé la gueule. » Il se vantait : le procès-verbal d’autopsie démontre que Mgr Darboy ne reçut pas « le coup de grâce. » Il n’en fut pas de même de M. Bonjean : dix-neuf balles l’atteignirent sans le tuer, sans même lui faire de blessures immédiatement mortelles ; un coup de pistolet tiré en avant de l’oreille gauche mit fin à son martyre. Si ces êtres, encore tout chauds du meurtre, se félicitent à haute voix d’y avoir pris part, on pourrait, on voudrait croire que plus tard, loin de l’enivrement morbide de la lutte, ils ont eu quelque remords d’avoir assassiné des innocens ; on se tromperait. Certains hommes, pétris d’une impure argile, s’enorgueillissent d’un crime comme d’autres s’empressent vers une bonne action. Deux ans et demi après la soirée du 24 mai 1871, Mégy a parlé, et il est utile de recueillir ses paroles. Un journal américain, mal informé,