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court à ses propos contre le roi et la reine. Mais, si le bailli ne pouvait se flatter d’avoir apporté jusque-là le moindre obstacle à la promotion du coadjuteur, il croyait pouvoir du moins se vanter d’avoir gagné la pleine et entière confiance de son mandataire. « Pour le regard de la promotion future de M. le coadjuteur de Paris, écrivait-il à Brienne, et ma bonne intelligence avec l’abbé Charrier, vous avez été servi ponctuellement selon vos désirs et les intentions de sa majesté et de son conseil, à point nommé. Il suffit de vous dire cela pour répondre à ce que vous m’en mandez dans votre dépêche, et ledit sieur abbé est content de moi et de mes œuvres au dernier point, au moins en ce qui touche l’affaire qu’il sollicite ici… Je vous prie, ajoutait l’ambassadeur, à qui l’on n’avait pas envoyé jusque-là une obole de France et qui était à bout de ressources, je vous prie de ne pas oublier.., de faire entendre raison à M. le marquis de la Vieuville (le surintendant des finances) pour le paiement de mes appointemens, autrement je vais à une banqueroute toute franche. »

Quinze jours avant la promotion, l’abbé Charrier ne savait pas plus que l’ambassadeur à quoi s’en tenir. À ce moment encore l’accusation de jansénisme soulevée contre le coadjuteur n’était pas encore vidée, et Innocent, « avec son adresse ordinaire, » disait que le seul motif du retard qu’il mettait à la promotion venait de la crainte où il était de faire entrer dans le sacré-collège un personnage imbu d’opinions si contraires à l’autorité du saint-siège. Pendant quelques jours, l’abbé Charrier ne put être admis aux pieds du pape, « ce qui le réduisit dans les dernières afflictions. » Le bailli semblait faire de son mieux pour le consoler, et comme l’abbé fut enfin reçu au Vatican, grâce à certaines indications que lui avait données l’ambassadeur, il vint le remercier « tout joyeux, sans masque et sans fard[1]. » L’ambassadeur fît mieux ; afin de n’inspirer aucun soupçon à l’abbé, il le mit en relation avec monsignor Chigi, qu’il avait intimement connu à Malte et avec lequel il avait conservé une étroite liaison. Charrier, que le père Rapin donne avec raison pour un « homme habile, ardent et dévoué au service du cardinal de Retz, » s’entremit de son mieux auprès de monsignor Chigi pour dissiper ses derniers soupçons sur le prétendu jansénisme du coadjuteur. Sous prétexte de faire une cour assidue au bailli de Valençay, mais en réalité pour surveiller ses moindres démarches, il le voyait journellement, il avait avec lui des conférences de trois ou quatre heures, « il était incessamment avec lui dans les

  1. Le bailli de Valençay à Brienne, 18 mars 1652. Archives du minist. des affaires étrang. ; Rome, t. CXX.