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éminence, le pape espère fortifier par la pourpre la faction de M. le duc d’Orléans et celle de MM. les princes et du duc de Lorraine, que le palais ecclésiastique tient pour très unis, avec dessein d’abaisser l’autorité royale sous prétexte de l’éloignement de M. le cardinal Mazarin[1]. »

Le même jour, le sieur Gueffier écrivait à Brienne : « Il semble que M. l’abbé Charrier, se doutant que M. le coadjuteur n’y entrera pas (dans la promotion), ne fait plus qu’attendre l’ordre de s’en retourner. » Gueffier était aussi ignorant que le bailli de ce qui venait de se passer ce jour-là même dans le consistoire. A quelques jours de là, il informait Brienne (26 février) que le pape ne s’était hâté de faire la promotion que dans la crainte que la nomination du coadjuteur fût révoquée. « La plus commune opinion, lui disait-il, est que, sur quelque avis que sa sainteté avait eu qu’il lui pourrait bientôt venir une révocation de cette nomination-là, elle l’avait voulu prévenir pour accomplir le désir qu’elle avait de faire ce seigneur cardinal… Vous saurez au reste, ajoutait-il, que la promotion de M. le coadjuteur ayant obligé M. l’ambassadeur d’en aller remercier le pape, l’on espère qu’elle produira le rétablissement de ses audiences, nonobstant tant de dégoûts survenus entre lui et sa sainteté… » L’ambassadeur ajoutait de son côté que plusieurs des cardinaux promus ce jour-là[2] disaient hautement qu’ils en avaient obligation au coadjuteur de Paris, au moins pour une anticipation de quelques jours. Enfin le bailli annonçait à Brienne qu’il verrait le pape le lendemain matin, « laquelle audience, ajoutait-il, m’a été accordée avec une civilité extraordinaire. »

Écoutons maintenant le récit de Guy Joly, conté d’une manière si spirituelle : « Le pape, dit-il, se résolut tout d’un coup (dans la crainte que la nomination du coadjuteur ne fût révoquée) d’avancer la promotion, après avoir tiré un écrit de M. l’abbé Charrier, par lequel il s’engageait d’en tirer un du coadjuteur, tel qu’il le désirait. Cette résolution, quoique fort secrète, ne laissa pas de pénétrer aux oreilles du bailli de Valençay, qui, ayant ordre de révoquer la nomination en cas de besoin, envoya aussitôt demander audience le dimanche au soir pour le lundi matin. L’audience lui ayant été accordée sans aucune difficulté, il crut qu’il n’y avait encore rien à craindre. Cependant le pape, qui se doutait bien de son dessein, envoya intimer le consistoire à petit bruit, le lundi matin 18

  1. Archives du minist. des affaires étrangères ; Rome, t. CXX.
  2. C’étaient, outre le coadjuteur, Santa-Croce, archevêque de Séville, Ottoboni. Fabio Chigi, Conrado, Baccio Aldobrandini, Lomellini, Omodei, et le landgrave de Darmstadt, de l’ordre de Malte, lequel menait une vie pour le moins aussi licencieuse que celle du coadjuteur.