Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 23.djvu/42

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

encore, Vérig, à l’aide de son pistolet d’arçon, lui donna le coup de grâce, et « la justice du peuple fut satisfaite. »

François fouilla le cadavre, prit le portefeuille et le porte-monnaie ; Vérig endossa le paletot. On traîna le corps à une dizaine de mètres, dans un trou préparé pour une bâtisse ; on lui enveloppa le visage avec un journal financier trouvé dans une des poches du paletot, et d’un coup de poing on lui enfonça le chapeau sur la tête. Puis François, qui était un homme d’ordre, prit un crayon, écrivit : Jecker, banquier mexicain, sur un papier qu’il passa dans une des boutonnières de la redingote. Vérig, François, Genton, un quatrième assassin, déposèrent leurs fusils contre une petite haie qui existe encore, et laissèrent le cinquième meurtrier à la garde des armes et du cadavre ; pour eux, ils se rendirent chez le sieur Lacroix, rue du Chemin-Neuf-de-Ménilmontant, no 4 ; là ils se firent servir une boîte de sardines, du pain, du fromage, deux litres de vin, car cette petite expédition les avait mis en appétit. Vérig leur montrait des bombes à main, non amorcées, qu’il avait dans sa poche ; Genton, tout en causant, disait : « Demain, il y aura d’autres exécutions. » Au bout d’une heure, ils allèrent reprendre leurs fusils et descendirent vers Paris par la rue des Basses-Gâtines. L’inspection de la muraille est instructive : trois balles de fusil-chassepot ont manqué Jecker ; une balle qui paraît avoir été tirée par un fusil à tabatière l’a traversé de part en part au-dessus des lombes et a dû causer une mort immédiate. Cinq jours après, le corps fut porté au cimetière de Charonne[1].

Jecker était peu connu dans la prison ; cependant, lorsqu’on apprit qu’il avait été fusillé, que l’assassinat de l’archevêque, du président Bonjean et des quatre prêtres ne paraissait pas avoir calmé la monomanie homicide qui possédait la commune, il y eut dans le personnel des surveillans un sentiment de révolte qui se manifesta par des paroles de menace. Henrion s’était sauvé la veille, Beaucé n’avait pas reparu depuis le matin ; Ramain fut inquiet, il craignit que ses subordonnés ne refusassent de lui obéir, il prévint François, qui entra en fureur et fit venir la plupart des gardiens. François fut brutal et grossier : « On a fusillé les prêtres, on a bien fait ; on a fusillé le banquier mexicain, c’est qu’il l’avait mérité ; on fusillera les gendarmes, qui sont des voleurs, on fusillera les anciens sergens de ville, qui sont des assassins, et si les surveillans ne font pas régulièrement leur service, s’ils ne s’associent pas franchement à la commune, on les fusillera aussi, pour leur apprendre. »

  1. Cinq assassins ont tué Jecker. Nous avons nommé Genton, Vérig et François, il se nous serait pas impossible de citer les deux autres qui ont aidé à « liquider cette affaire ; » mais, malgré les présomptions les plus sérieuses et un important témoignage, nous devons nous taire, car la preuve matérielle de notre conviction nous fait défaut.