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UNE MISSION AUX RUINES KHMERS.


bitations à demi cachées dans le feuillage. La végétation est d’une variété et d’une fraîcheur surprenantes ; tantôt nous filons entre deux rideaux de grands cocotiers où se mêlent de superbes arbres à fruits, tantôt, dans les parties marécageuses, nous traversons un fouillis de lianes, de palmiers d’eau et de plantes grimpantes d’une diversité infinie. Après vingt-quatre heures environ de cette navigation, nous arrivons à Mytho, au confluent de l’arroyo et du Mékong, et de là nous nous dirigeons sur Chaudoc.

Le bras du fleuve sur lequel nous nous engageons ici est d’une largeur extrême ; le courant, très rapide au milieu, se ralentit près des bords ; aussi rangeons-nous la rive le plus possible. Ce ne sont d’abord, à droite et à gauche, que des bois alternant avec des cultures ; on n’aperçoit guère les demeures des indigènes, bien enfouies dans les massifs de verdure, mais on en devine l’existence aux groupes d’enfans qui jouent sur la berge, aux nombreux sentiers qui s’enfoncent en serpentant sous le feuillage. Bientôt les arbres deviennent plus rares et font place à de hautes herbes qui s’étendent à perte de vue : c’est la plaine des joncs, vaste marais de plus de 10,000 kilomètres de superficie, d’où émergent seulement de place en place quelques terrains habitables. Dans les premières années de la conquête, ces îlots ont souvent servi de repaires à de redoutables bandes de pirates dont la destruction nous a coûté de durs sacrifices. Là, non loin de la petite ville annamite de Tap-Muoi, on rencontre une première ruine khmer, un ancien temple brahmanique sans doute : « la tour aux cinq compartimens, » ou, en cambodgien : Preasat Pram Loveng. Ce sont des débris informes rarement visités par les Européens à cause des légions de moustiques qui pullulent dans le marécage. Cependant, malgré l’état de délabrement de cet édifice, le voyageur qui veut en fouiller les restes à peu près enfouis sous la végétation y rencontre encore des chambranles, des entablemens, des frises couvertes de sculptures délicates, et telle est la puissance de cet art accompli que la vue de quelques pierres marquées de son empreinte suffit, au milieu des vulgarités chinoises qui couvrent le pays, pour faire entrevoir les splendeurs de l’Inde antique.

Chaudoc est sur la limite de la région inondée. Près de cette ville, qu’un canal relie à Hatien, notre unique port sur le golfe de Siam, sont de grands chantiers pour la construction des pirogues, creusées dans les troncs d’arbres provenant des forêts du Cambodge ou du Laos. Il y a dans les environs un certain nombre de monumens khmers, forteresses, temples bouddhiques et brahmaniques, monastères, grottes, dont nous ignorions encore l’existence au moment de notre passage à Chaudoc, mais qu’ont reconnus depuis lors MM. Aymonier et Moura.