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UNE MISSION AUX RUINES KHMERS.

territoire de Siam. Il avait fait toilette de cérémonie et sacrifié de son mieux aux grâces européennes. Il portait sur une chemise de coton une veste de soie blanche avec des galons d’argent qui lui remontaient jusqu’aux coudes ; un langouti vert, une casquette de marine à bande d’or, un sabre de cavalerie qui le gênait fort, achevaient la gaucherie laborieuse de son costume. Ses jambes et ses pieds étaient nus.

J’ai dit qu’Angcor-la-Grande avait été visitée par Mouhot ; après lui, le commandant de Lagrée l’explora plus en détail. Il y reconnut successivement trois édifices de premier ordre, une puissante muraille enfermant un carré d’une lieue de superficie, et les restes de cinq magnifiques portes que précédaient des chaussées avec de gigantesques balustrades, des terrasses, une quantité de tours, de pyramides, de statues. Il existe en outre dans la forêt environnante un grand nombre d’autres ruines dont plusieurs doivent provenir de monumens considérables. Nous étions campés tout près du majestueux temple de Baïon, le plus beau de tous les édifices laissés par les Khmers. Il avait été à peine entrevu jusqu’alors, à cause de l’épaisse végétation qui en défend l’approche ; 60 indigènes travaillèrent douze jours durant à pratiquer des abatis et à ouvrir des sentiers pour nous permettre d’en relever le plan. Ce monument est surmonté de cinquante et une tours, chacune ouvragée d’une riche décoration architecturale où figure toujours la quadruple face du dieu Brahma. La masse centrale est une construction unique en son genre, à base légèrement ovale, avec une galerie circulaire de portiques à deux étages et dix campaniles aériens. Nous la fîmes dégager jusqu’au sommet.

L’entourage du monument, les préasats intérieures, les soubassemens, sont encombrés d’éboulis de pierres, de débris de voûtes, de fragmens de toute sorte, parmi lesquels nous rencontrons d’admirables sculptures. Pas une tour dont l’agencement n’ait été disjoint par l’effort de la végétation. Les masques humains, déformés, semblent grimacer ; quelques-uns pourtant ont conservé leur expression primitive, souriante et placide ; mais ce n’est que l’exception, et le jour n’est pas loin où ce temple splendide ne sera plus qu’un informe amas de ruines. La flore capricieuse qui y pénètre de toutes parts a produit en certains endroits des effets singuliers ; dans une galerie, des racines de banians, après avoir renversé les piliers, ont pris leur place, et ce sont elles qui étançonnent aujourd’hui la voûte. Le bâtiment principal, dont la chute entraînera la destruction presque entière de l’édifice, est dans un état déplorable. L’ascension ne s’en fait pas sans danger ; d’énormes lézardes y bâillent d’un air menaçant ; il nous semble à tout moment que d’immenses