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de millions d’hommes, aujourd’hui changée en une solitude où s’égrugent lentement et silencieusement les ruines d’une antique capitale et de soixante temples. À travers le voile des forêts, il devinait plutôt qu’il n’apercevait, ici aux reflets mats du soleil sur un sommet de tour, là aux scintillemens argentés d’un bassin d’azur, la place occupée par chacun de ces vénérables édifices, débris toujours plus chancelans d’une civilisation disparue.

D’autres spectacles, différens de ceux qui avaient six mois auparavant frappé nos regards, attendaient au retour M. Faraut. La pêche sur les lacs était alors en pleine activité. Une quantité de hameaux volans couvraient ces mers intérieures aux trois quarts vides. Le jour, les femmes travaillaient à la salaison, tandis que les hommes dormaient ; la nuit venue, ces derniers allaient, à la lueur des torches, lancer leurs immenses filets et investir au dépourvu les bancs de poissons. Dans le seul Tonly-Sap, à l’époque de la grande sécheresse, on ne compte pas moins de 50,000 pêcheurs. De barrage en barrage, notre voyageur atteignit enfin Phnom-Penh, d’où il revint à Saïgon, et de là en France pour y rétablir, lui aussi, sa santé gravement ébranlée par tant de fatigues[1].

De cette exploration complémentaire, M. Faraut avait rapporté non-seulement d’intéressantes données sur une quarantaine de monumens dont la moitié étaient inconnus avant lui, mais encore un certain nombre d’estampages. Son butin, augmenté des importans moulages exécutés avec mille peines par M. Filoz, vint s’ajouter heureusement aux richesses dont j’avais chargé la Javeline. Toute cette collection, formant un ensemble d’antiquités d’une sérieuse importance, est installée provisoirement au palais de Compiègne par les soins de la direction des beaux-arts, et dès aujourd’hui elle est accessible au public. Telle qu’elle est, elle n’offre encore qu’un point de départ ; l’art khmer est loin de s’y trouver contenu tout entier. Les spécimens dont elle se compose sont nécessairement imparfaits et n’embrassent pas tous les genres. On a vu que le temps avait fait défaut à la mission, et souvent, dans le choix des pièces à enlever, nous avions dû considérer encore moins la valeur réelle des objets que les moyens dont nous disposions pour le transport. Les moulages, d’une exécution difficile, malaisés aussi à garantir absolument des intempéries du climat et des chocs du voyage, n’ont pu conserver toute la finesse des originaux ; ils étaient d’ailleurs impuissans à reproduire les sculptures profondément fouillées, qui sont les plus délicates et les plus gracieuses.

  1. M. Faraut est retourné de nouveau au Cambodge, où il continue ses explorations, dans le dessein de compléter la liste des documens nécessaires pour le travail de restitution des monumens khmers dont nous nous occupons en ce moment.