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émotion et de son respect l’ancien président dans son dernier voyage à la ville des morts, a fait ce qu’il devait. Par son empressement et son recueillement attendri, il s’est montré digne de celui qui aurait seul suffi pour le représenter dans les assemblées. Si dans la manière dont ces funérailles se sont accomplies il y a eu des méprises, des malentendus, nous ne voulons pas le chercher. Le gouvernement avait spontanément et honorablement offert de rendre les honneurs publics à celui qui a été le premier serviteur du pays. À la nouvelle de la mort de M. Thiers, M. le maréchal de Mac-Mahon, éloigné de Paris, a témoigné aussitôt les sentimens qu’on devait attendre de lui. Au dernier moment cependant l’intervention de l’état a disparu, les négociations qui ont été engagées n’ont pu arriver à un dénoûment propre à tout concilier. S’il n’y a eu là que l’inspiration d’un grand deuil intime, si l’amitié et le dévoûment qui, depuis si longtemps, entouraient M. Thiers ont cru que cela devait être ainsi, il faut s’incliner. Si à ces préoccupations touchantes de ceux qui avaient le droit de les éprouver, d’autres préoccupations sont venues se mêler pour imprimer à ces funérailles nationales un caractère déterminé, il faudrait le regretter. Est-ce qu’il ne suffit pas que la politique divise les vivans tant qu’ils sont debout ? Serait-ce trop qu’il y eût une heure, une seule heure, où la trêve du respect pût être acceptée devant un tombeau illustre ? Qu’on y songe bien, M. Thiers n’était pas un homme de banale popularité, cherchant les ovations ; c’était un personnage d’état, digne des hommages de l’état, et sa mémoire ne se serait pas trouvée offensée sous le dôme des Invalides ; elle n’aurait pas été mal à l’aise au milieu de ces représentans de l’administration que l’ancien président avait conduits, qu’il aimait à consulter, au milieu de ces généraux qu’il accueillait, qu’il attirait si cordialement en 1871. Il aurait eu ainsi tout à la fois les obsèques officielles dues à son titre d’ancien président de la république, et les obsèques populaires qui l’attendaient.

Ce serait une singulière erreur des républicains de croire qu’ils peuvent s’emparer de ce grand nom et lui donner une signification exclusive. M. Thiers était une de ces renommées qui ne peuvent être confisquées ni par un gouvernement offrant de remplir le plus simple devoir ni par les partis dans un intérêt du moment. Il reste ce qu’il est, l’homme de soixante ans d’histoire, non de trois ou quatre années ou d’un groupe de députés. Il avait le juste sentiment de lui-même, et il n’eût certainement pas admis que devant lui, au nom de son passé, on eût l’air de présenter ses excuses à la postérité en disant que « sans doute » il avait servi un roi. C’est M. Jules Simon qui a parlé ainsi dans un discours d’ailleurs profondément ému. Il y a seulement un mot de trop qui ressemble à un palliatif dont M. Thiers n’avait pas besoin, car il ne songeait pas à voiler une partie de sa vie. Et comme si cela ne suffisait pas, l’ancien président de la chambre, M. Jules Grévy,