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appartenaient à une religion dont le Dieu a dit à son premier apôtre : Remets le glaive au fourreau ; ils ne songeaient point à lutter et priaient à voix basse, Les femmes, les vieillards, les très rares hommes que la commune n’avait point poussés à la bataille, tous les gens du quartier en un mot, étaient sortis devant les portes, regardaient défiler ce cortège et ne cachaient point la commisération qu’ils éprouvaient. Dans le haut de la rue de la Roquette, au moment où l’on allait franchir la place où s’élevait l’ancienne barrière d’Aulnay, une femme cria : « Sauvez-vous donc ! » Il est certain que toute maison se serait ouverte pour les recevoir ; mais aucun des otages ne parut avoir l’idée de se dérober. Geanty marchait en tête, ferme, droit, les épaules bien effacées, comme à la parade. On tourna à gauche et l’on s’engagea sur le boulevard Ménilmontant dont on suivit la droite, le long du mur qui borde le Père-Lachaise ; tout le monde était sympathique à ceux qui passaient.

À l’espèce de demi-lune que le boulevard forme devant la rue Oberkampf, on fit halte. Là se dressait une très forte barricade, occupée par des fédérés du 74e bataillon que commandait un certain Devarennes. Émile Gois, qui ne se sentait pas en force pour maintenir les otages, si ceux-ci avaient tenté sérieusement de résister, demanda à Devarennes de lui donner quelques hommes pour grossir son peloton. Une compagnie tout entière, sous les ordres d’un nommé Dalivoust, qui en temps normal était couvreur, mais qui, en temps d’insurrection, faisait le métier de capitaine d’infanterie, se massa autour des gendarmes, et commença à gravir, avec eux, la longue chaussée de Ménilmontant. Cette partie du trajet fut encore relativement douce ; nulle injure ne fut adressée aux otages. Pendant quelques instans, ils purent se rassurer et, à voir la tranquillité bienveillante des personnes qui les regardaient, se persuader qu’on ne les avait pas trompés et qu’en effet on les transférait à la mairie de Belleville. Un seul prêtre fut malmené, le père Tuffier, de Picpus, sans doute, qui, vieux et n’avançant que lentement, fut insulté par les fédérés de l’escorte. On a dit que Paul Seigneret avait offert son bras à un ecclésiastique âgé qui paraissait souffrant ; il est probable qu’il soutenait et qu’il a soutenu jusqu’au bout de cette voie douloureuse la marche hésitante du père Tuffier.

Dès que l’on eut pénétré dans la rue de Puébla, on se trouva au milieu d’une population hostile et menaçante. Quelques pierres furent jetées au milieu des otages, et l’on cria : A mort les calotins ! tout le ramassis des vagabonds en armes, toute l’écume de la bataille, tous les enfans perdus, les lascars, les vengeurs, les déserteurs de l’armée, les voleurs en disponibilité, les assassins en fraierie, les galériens en vacances, s’étaient réfugiés sur les hauteurs de