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des vivres n’avait point été faite le matin ; ils se racontaient entre eux que la prison était minée, que l’on devait y mettre le feu, que les artilleurs du Père-Lachaise avaient reçu ordre de la détruire ; un surveillant fort habile leur avait dit : — tout le monde y passera, vous comme les autres. — Le meurtre des gendarmes leur avait paru légitime, en vertu sans doute du jugement par les impairs que Raoul Rigault préconisait ; celui des prêtres et surtout celui de l’archevêque les avait indignés. Sous la souquenille de ces malheureux que la chiourme attendait, il y avait plus de sentimens humains que sous l’écharpe rouge des chefs de la commune. Ces détenus croyaient qu’ils seraient fusillés ; ils se comptaient de l’œil, se trouvaient nombreux, se disaient, eux aussi : il faut nous défendre, et calculaient qu’en dépavant les trottoirs de la cour ils assommeraient quelques fédérés avant d’être tués par eux.

À la quatrième section, les otages, qui avaient, en deux jours, regardé partir et n’avaient pas vu revenir vingt et un de leurs compagnons, étaient silencieux et troublés. Un instant, ils avaient eu quelque espoir dans la matinée. La fusillade avait semblé se rapprocher de la Grande-Roquette, comme si l’armée en eût attaqué les rues voisines ; puis elle s’était éloignée et ne leur parvenait plus que sous forme d’une rumeur confuse ; les prêtres priaient, les laïques pensaient aux êtres chers qui les attendaient au logis. Le brigadier Ramain, le sous-brigadier Picon, s’agitaient beaucoup et tâchaient de remonter le moral des surveillans, qui paraissait singulièrement affaissé. Quelques-uns disaient : « Sauvons-nous de cet enfer ; » les autres répondaient : « Non, restons pour protéger les otages. » François, dans son costume des grands jours, l’écharpe rouge en sautoir, le revolver à la ceinture, le sabre traînant, le képi galonné sur l’oreille, promenait partout son importance et semblait attendre quelque grand événement. Parfois il sortait, regardait vers le haut de la rue de la Roquette ; plusieurs fois, Clovis Briant, le directeur de la maison d’éducation correctionnelle, était venu causer confidentiellement avec lui.

Il était une heure environ lorsque Ferré, à cheval, arriva à la Grande-Roquette ; deux cavaliers l’accompagnaient ; l’un d’eux, dit-on, était Gabriel Ranvier ; nous ne rapportons ce bruit qu’avec réserve, car nous n’avons pu en contrôler l’exactitude. Un bataillon de fédérés les accompagnait ; un peloton pénétra dans la première cour, le reste des hommes fut rangé sur la place. Ferré se rendit au greffe, où il fut reçu par François : — Nous venons chercher les curés et les sergens de ville. — À ce moment, un surveillant nommé Bourguignon se trouvait dans le grand guichet. Il reconnut Ferré, il entendit les paroles adressées à François ; il éprouva un