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conditions acceptables. Au moment de quitter le greffe de la Grande-Roquette, Ferré dit : « Je vais escorter ces prisonniers, j’aurai encore deux détachemens à conduire ; arrangez-vous de façon à m’avoir les sergens de ville et les curés, car je reviendrai les chercher moi-même, et malheur à vous si je ne les ai pas ! » Il remonta à cheval et s’élança fièrement sur la place, où il arriva juste à temps pour entendre un cri formidable de : « Vive la ligne ! »

Ceci est un fait fort remarquable, encore mal expliqué, et qui fera comprendre comment aucun des 1,428 soldats extraits des deux Roquettes et dirigés sur Belleville ne fut même insulté ! tous les gens du quartier, voyant une troupe armée réunie sur l’emplacement qui s’étend entre les deux prisons, s’étaient groupés par curiosité. Ces petits marchands d’objets funéraires, dont le commerce alimenté par le voisinage du Père-Lachaise était absolument paralysé depuis plusieurs mois, étaient de médiocres partisans de la commune ; de plus, ils étaient révoltés du massacre des gendarmes que la veille ils auraient voulu sauver. En apercevant les soldats, ils crurent qu’eux aussi marchaient à la mort, et, autant pour protester que pour les protéger, ils crièrent : « Vive la ligne ! » Les soldats agitèrent leurs képis et répondirent : « Vive le peuple ! » Les fédérés se mirent de la partie, et tout le cortège s’ébranla au bruit d’acclamations que Ferré n’avait pas prévues. Cette rumeur parvint aux oreilles des otages et leur fit croire que Ferré, usant de subterfuge, essayait de les abuser en ordonnant à ses hommes de pousser des cris rassurans ; ils se sont trompés : ce cri sortit instinctivement de la foule et prouve qu’elle a parfois de généreuses et spirituelles inspirations. Ce fut comme une traînée de poudre qui s’enflamme et court en avant. On ne prit pas la longue route qui avait été la voie douloureuse des martyrs de la rue Haxo ; on tourna au plus court par la rue des Amandiers et la rue de la Mare. Là on disait : « Ce sont de braves Versaillais qui ont tourné au peuple, » et de plus belle on criait : « Vive la ligne ! » trois fois ce fait se renouvela, car trois détachemens sortis de la Petite-Roquette furent conduits à Belleville ; on enferma tous les soldats dans l’église Saint-Jean-Baptiste, où ils reçurent une distribution de vivres dont ils avaient grand besoin. Ils y dormirent un peu à l’étroit et quand ils se réveillèrent, à l’aube du dimanche 28 mai, ils étaient entre les mains de l’armée française qui était arrivée pendant leur sommeil.


VIII. — LA DELIVRANCE.

Le départ de Th. Ferré avait laissé quelques loisirs au brigadier Romain, qui les utilisa en recommençant son inutile parlementage