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qui s’appliqua à bloquer ce port et nous contraignit à combattre pour donner à notre établissement de l’espace et de l’air. Cette nécessité comportait une acquisition de territoire, et c’est ainsi que notre comptoir se trouva transformé en colonie. Mais la Basse-Cochinchine n’était pas un pays propre à la formation d’une colonie. Si par ce mot on entend une population venue de la mère patrie en un pays lointain pour y cultiver la terre ; la Cochinchine française n’est pas et ne pourra jamais être une colonie. Pourquoi ? parce que le climat ne permet pas aux Européens de se livrer à un travail manuel de longue durée, parce que notre sang s’y appauvrit et que, même exempts de fatigues physiques, les hommes de notre race y perdent leurs forces et sont obligés, s’ils ne veulent s’exposer à succomber, de venir se retremper en Europe. Cette raison ne serait-elle pas concluante qu’il faudrait encore tenir compte de la concurrence des habitans et des populations voisines, notamment des Chinois, rudes et sobres travailleurs dont on obtient les services à très bas prix et qui savent trouver l’épargne là où les ouvriers européens ne récolteraient que la misère et la famine. L’empire chinois est une fourmilière humaine inépuisable qu’attire le salaire même le plus modeste ; sur ses frontières, il n’y a place pour aucune autre race. Peuple de cultivateurs et de marchands, les Chinois montrent dans l’exercice de ces deux professions une supériorité écrasante. Seuls les Annamites pourraient lutter avec eux dans la pratique de l’agriculture ; mais dans le négoce les Chinois n’ont pas de rivaux. Les commerçans européens ne se maintiennent à côté d’eux que par la facilité de leurs relations avec l’Occident, par la supériorité de leurs produits manufacturés et de leur marine commerciale.

Il n’y a pas de colonie à rêver en Cochinchine, il n’y a de possible dans ce pays qu’une administration intelligente qui y favorise l’accroissement de la population par la pratique des bonnes mœurs, l’amélioration des anciennes cultures, la connaissance des nouvelles, le goût du commerce, l’étude de nos arts industriels, de nos procédés mécaniques, en un mot tout ce qui peut donner à la contrée une nouvelle source de bien-être, tout ce qui peut rendre les habitans plus heureux, les enrichir. Il faut surtout les faire jouir d’un équitable gouvernement et détruire dans leur esprit la pensée, enracinée par une longue expérience, que tout fonctionnaire est prévaricateur, toute administration tyrannique, tout souverain oppresseur, toute justice vénale. Telle est l’œuvre à laquelle nous sommes voués et que notre marine nationale a glorieusement commencée par ses instructions et son exemple.

Elle a laissé aux habitans leurs lois, qui sont en rapport avec leurs mœurs, se bornant à rayer dans le code annamite les articles