Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 23.djvu/675

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

produisit plus de 125,000 francs, et il serait impossible de calculer les sommes fabuleuses déboursées par les rajahs de l’intérieur, soit pour offrir à leur futur suzerain une hospitalité qui pût faire impression sur son esprit, soit simplement pour lui présenter leurs hommages avec un train digne du rang qu’ils s’attribuaient, — le tout naturellement aux frais de leurs sujets, déjà fort obérés d’habitude, et même c’est là le côté sombre de toutes ces magnificences, Hâtons-nous cependant d’ajouter, à l’honneur du gouvernement anglo-indien, que, loin d’exploiter cette tendance, comme on l’a prétendu autrefois, dans l’arrière-pensée de ruiner et de dépopulariser ses vassaux pour mieux les dépouiller ensuite, il s’est efforcé dans maintes circonstances de réagir, par une intervention discrète de ses résidens, contre les exagérations d’un loyalism poussé jusqu’au gaspillage.

La direction générale du voyage fut confiée à sir Bartle Frère, ancien gouverneur de Bombay, plus connu en Europe par sa récente mission à Zanzibar, mais très populaire dans toute l’Inde et fort au courant des affaires anglo-indiennes. Ce fut un choix heureux, car, esprit fin et conciliant, nature de diplomatie doublé d’un administrateur, sir Bartle était l’homme le plus apte à aplanir les froissemens que le passage du royal voyageur ne pouvait manquer de produire dans une société aussi rigide sur les questions d’étiquette et de préséance. Le docteur Fayrer, qui devait veiller sur l’état sanitaire de l’expédition, avait un droit de veto absolu sur tous ses mouvemens. Le général major Probyn fut spécialement chargé des transports, et le colonel Ellis eut le maniement des finances.

L’itinéraire, longuement débattu entre les autorités de l’Inde et de la métropole, fut définitivement arrêté, jour par jour et étape par étape, dès les premiers mois de l’été. On peut hardiment le recommander dans son ensemble à quiconque désire visiter l’Inde, car on ne pourrait mieux combiner les moyens de voir le plus de choses possible dans le moins de temps possible. Sans doute il devait subir quelques légères modifications en présence de circonstances inattendues, telles que l’apparition du choléra au Mysore, qui fit substituer la visite de Baroda aux chasses des Neilgherries ; mais il n’en fut pas moins suivi dans ses grandes lignes, si bien que presque partout le prince arriva au jour indiqué plusieurs mois d’avance. C’était là, à la vérité, une condition indispensable au succès du voyage, car, bien que les habitans de l’Inde ne connaissent guère la valeur du temps, l’importance des préparatifs et la multiplicité des déplacemens qu’occasionnait chaque réception rendaient plus nécessaire que jamais cette exactitude qui est la politesse des rois. Dès l’arrivée à Bombay, les services spéciaux de l’expédition furent confiés aux officiers de l’administration