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invisible, entoura partout les moindres démarches du prince. Un millier de policemen et de détectives étaient continuellement occupés à garder les abords du camp royal, et, quand le prince voyageait de nuit en chemin de fer, des porteurs de torches étaient échelonnés sur la voie de façon à former une ligne ininterrompue de signaux. Dès la veille de son arrivée, d’après un bruit qui avait cours dans l’Inde, la police de chaque ville mettait indistinctement en lieu sûr tous les gens tarés ou suspects pour ne leur rendre la clé des champs qu’après le départ des voyageurs. Si le fait n’est pas vrai, il est fort vraisemblable. En tout cas, ces précautions portèrent leurs fruits : pendant tout le séjour de son altesse royale, on n’a pas eu à signaler un attentat, une insulte dirigée contre sa personne, voire une tentative sérieuse de désordre ou de rébellion, même à Baroda, dont la population se soulevait quelques mois auparavant pour protester contre la déposition du gaikwar Mulhar-Rao.


II

Le 11 octobre, le prince de Galles quittait Londres pour s’embarquer à Douvres, où une foule nombreuse lui cria le traditionnel God speed (à la garde de Dieu) ! Bien que nous ne soyons plus au temps où le trajet de Bombay prenait parfois six mois et où la mortalité des Européens y avait suscité le proverbe : « deux moussons sont la vie d’un homme, » le voyage de l’Inde a gardé, même chez nos voisins, un certain prestige d’éloignement et de péril, justifié d’ailleurs par le grand nombre d’Anglais qui y trouvent une fin subite et prématurée. La princesse de Galles accompagna son mari jusqu’à Calais et revint directement en Angleterre, tandis que le prince traversait la France et l’Italie pour s’embarquer le 16, à Brindisi, sur le Serapis, ancienne frégate transformée en palais flottant. A côté du Serapis se balançait sur ses ancres le léger Osborne, qui devait lui servir de satellite et au besoin de chaloupe. On s’arrêta quelques jours en Grèce, où le Serapis, ayant brisé ses câblés à son entrée dans le mouillage du Pirée, faillit couler le yacht du roi George, accouru au-devant de son hôte. Après un court séjour en Égypte et une relâche à Aden, le 8 au matin, le Serapis jetait l’ancre dans la rade de Bombay, salué par les canons de la flotte et des forts.

Le débarquement n’avait été fixé qu’à quatre heures de l’après-midi pour épargner au prince les fortes chaleurs du jour. Dans l’intervalle, on conçoit l’ébullition de la ville : sur les quais, les balcons, les terrasses, ce n’étaient que paires d’yeux et de jumelles braquées dans la direction du Serapis. La foule des indigènes se