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pour but principal l’amélioration matérielle et morale des populations asservies, supposons un affreux tyran, sanguinaire comme Timour ou fanatique comme Aureng-Zeb, les acclamations n’en auraient été que plus retentissantes, les présens plus riches, les allégeances plus sincères. Toutefois la seule présence du futur souverain de l’Hindoustan, l’éclat dont on l’a entouré, le retentissement donné à ses moindres actes, le respect même témoigné à sa personne par les personnages les plus élevés de l’administration anglo-indienne ont laissé dans l’imagination populaire une impression profonde qui s’est traduite jusque dans le langage des journaux natifs les plus hostiles à la domination britannique.

Le pouvoir personnel, qui, quoi qu’on dise et qu’on fasse, a fini son temps dans nos sociétés, reste encore la seule forme de gouvernement intelligible pour l’Oriental. Or toute la féodalité de l’Inde, qui ne conçoit rien au mécanisme compliqué des institutions constitutionnelles, a cru saisir enfin que, derrière ces commissaires, ces magistrats, ces gouverneurs, ces vice-rois changés tous les cinq ans, voire derrière ce parlement anonyme et impersonnel dont elle ne conçoit ni le rôle ni l’utilité, il se trouvait un pouvoir stable et héréditaire, une royauté en chair et en os, une dynastie remontant à l’origine de l’histoire. C’est un effet analogue qu’on a cherché en relevant il y a quelques mois, au profit de la couronne britannique, le titre impérial délaissé par la dynastie mogole. Mais le voyage du prince a produit d’autres fruits encore qu’il serait injuste de passer sous silence. Par la vogue qu’il a rendue aux hommes et aux choses de l’Inde, il a ramené l’attention des Anglais sur les problèmes qui se rattachent à leur domination dans la péninsule hindoustanique et qui depuis nombre d’années étaient abandonnés aux controverses de quelques spécialistes parlementaires. Par les récits et les commentaires qu’il a provoqués dans la presse, il a répandu des notions plus exactes sur l’étendue, la diversité et la valeur des élémens qui constituent l’empire anglais de l’Inde. On peut même ajouter que sous ce rapport l’influence de ce voyage ne s’est point bornée au public anglo-saxon. Il a certainement contribué à donner une nouvelle impulsion aux études sur un peuple qui, en somme, est de notre race, qui bien avant nous avait atteint un remarquable développement dans certaines sphères de l’intelligence et qui, indéfiniment susceptible de progrès, comme tous les membres de la famille aryenne, retrouvera peut-être quelque jour une mission importante A remplir dans la marche générale de l’humanité.


GOBLET D’ALVIELLA.