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que la plupart des gouverneurs ou des fonctionnaires intègres et capables qu’a possédés ou que possède la Turquie n’appartiennent point par leur naissance à cette jeunesse dorée, Ahmed-Vefik-Pacha, le président de la chambre des députés, le savant orientaliste, l’homme d’état aussi estimé pour son caractère que pour ses talens, est né d’une Grecque et d’un juif converti à l’islamisme. Le grand-vizir Edhem-Pacha est un Chiote. Munif-Effendi, le ministre de l’instruction publique qui a traduit en Turc la philosophie de Voltaire, est un Arabe né dans le voisinage de l’Euphrate, dans la petite ville d’Aintab, où il paraît avoir reçu l’éducation la plus soignée. Feu le grand-vizir Kybryzli-Mehemed-Pacha était un Cypriote ; Mehemed-Ruchdi-Pacha est natif de Sinope, et pour finir par celui qu’il aurait fallu nommer tout d’abord et qui est une des plus nobles et des plus remarquables figures de ce temps, Midhat-Pacha est originaire de Widdin. Les effendis de Stamboul considèrent ces provinciaux comme des intrus, qui se permettent de chasser sur leurs terres ; ils estiment que les fonctions publiques sont leur bien, nul autre qu’eux n’y doit avoir part. L’effendi de Stamboul nourrit un profond mépris pour le travail, pour l’industrie, pour tous les métiers ; il rougirait d’être médecin, avocat, négociant, banquier ou fabricant ; fils de fonctionnaire, il croirait déroger et manquer à tout ce qu’il se doit, s’il n’était lui-même fonctionnaire. L’état est sa vache à lait, sa ferme et sa métairie ; les grandes places où l’on s’enrichit sont pour lui, et il se réserve encore les petites pour les distribuer à ses cliens, aux gens de sa maison, à son barbier, à son concierge, à ceux de ses domestiques qui s’entendent le mieux à curer son chibouk, à préparer son café ou à panser ses chevaux. D’habitude, il ne leur paie point de gages, il se contente de les nourrir ; mais pour les récompenser de leurs services, il leur promet qu’un jour ils deviendront par ses soins administrateurs de districts, collecteurs d’impôts ou officiers de gendarmerie. Vers la fin du règne d’Abdul-Medjid, le grand-vizir Kybryzli-Mehemed-Pacha créa une école d’employés, où les jeunes gens qui se destinaient à l’administration apprenaient sous la direction d’excellens maîtres le français, les mathématiques, la géographie, l’histoire, l’économie politique, le droit civil et commercial. Ceux qui obtenaient leur brevet avaient droit à servir l’état. Un poste de caïmacan ou de mudir venait-il à vaquer, on les adressait au vali ou gouverneur-général chargé de les mettre en possession ; mais à leur arrivée, la place n’était plus vacante : le vali en avait déjà disposé en faveur de quelqu’une de ses créatures, et il exprimait au jeune aspirant son vif regret, en l’engageant à prendre patience. C’est une admirable vertu que la patience, mais en Turquie pas plus qu’ailleurs ce n’est une vertu nourrissante ; on n’en vit pas, on en meurt quelquefois.

L’effendi de Stamboul a pour principe que le gouvernement a été