Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 23.djvu/714

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pour l’avenir, c’est de méditer dans son intégrité, dans son esprit, ce manifeste que M. Thiers a légué comme un testament politique, qui vient de retentir dans la France entière.

M. Thiers, avant de mourir, avait-il eu le temps de coordonner, de revoir lui-même le manifeste où il a déposé ses derniers jugemens ? Peu importe ; l’œuvre a paru sous l’autorité et la garantie d’un nom qui ne trompe pas, le nom de M. Mignet, et d’ailleurs l’homme est là tout entier avec sa raison, son expérience, sa pénétrante finesse, même sa passion, si l’on veut. Tout ce qu’il avait à dire, il l’a dit avec sa supériorité naturelle, avec une étendue d’esprit qui embrasse tous les côtés de la politique, et ce serait une singulière méprise de ne prendre du manifeste que ce qui plaît, ce qui répond à la préoccupation du moment. Sans doute M. Thiers défend la dernière chambre, il se prononce vivement pour la république, et en même temps, voyant le danger toujours possible, il ajoute : « Si par radicalisme on entend une certaine conception démocratique qui porterait sur l’administration civile, sur le régime financier, sur l’organisation militaire, sur les affaires religieuses, sur les rapports des pouvoirs entre eux, sur l’intervention des chambres dans la politique extérieure, il faudrait résister, et résister énergiquement, à une chambre qui s’y laisserait entraîner. » C’est avec cette prévoyance qu’il parle sans méconnaître la possibilité d’une résistance nécessaire, et quand on a voulu changer les lois militaires, il a résisté, lui, au prix des dernières forces qui lui restaient ! Il défend la république, qui est seule possible aujourd’hui, et il la définit comme « un équitable partage entre tous les enfans de la France, du gouvernement de leur pays, — sans exclusion d’aucun d’eux, — excepté de ceux qui annoncent qu’ils ne veulent la gouverner que par la révolution. » voilà encore la limite tracée par le conservateur patriote 1 Et quand il décrit les conditions d’existence de la république, c’est le régime constitutionnel tout entier avec ses garanties, avec son président, avec ses deux chambres. C’est un vrai programme de politique modérée qu’il faut lire avec respect, en se souvenant de toute cette sagesse clairvoyante, — et sans oublier aussi que, si le manifeste subsiste, l’homme n’est plus là.

Les républicains sont certes les premiers intéressés à s’inspirer de ce programme de la seule république possible, et ce qu’ils ont de mieux à faire, s’ils ont une victoire électorale le 14 octobre, c’est de ne point cherchera abuser de leur succès, de rester obstinément sur le terrain constitutionnel, de ne se refuser ni aux transactions, ni aux combinaisons qui peuvent être un gage d’apaisement. Ils ont tout à gagner à ne se défendre que par une invincible modération, car enfin le jour où la carrière des violences se rouvrirait, la république pourrait bien avoir le premier mot, il est trop clair qu’elle n’aurait pas le dernier mot.