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conflit. Lorsque les chanceliers d’Allemagne et d’Autriche, le prince de Bismarck et le comte Andrassy, ont eu ces jours derniers à Salzbourg une de ces entrevues qui sont toujours commentées avant et après, ils ont pu échanger des impressions, ils n’ont eu certainement à délibérer ni sur un changement de conduite de leurs souverains ni sur une solution prochaine. L’alliance des trois empereurs persiste plus que jamais, dit-on ; M. de Bismarck et M. Andrassy s’en seraient donné réciproquement l’assurance à Salzbourg ; c’est au mieux, la Russie trouvera là un vigoureux cordial ! Au fond, l’Autriche s’est trop bien trouvée jusqu’ici de sa politique pour la modifier. Placée de façon à devoir profiter dans une certaine mesure des victoires de la Russie et à n’avoir pas à se plaindre de ses défaites, elle persévère, et les explications qui viennent d’être données dans le parlement de Pesth comme dans le parlement de Vienne indiquent que rien n’est changé. Que M. de Bismarck, de son côté, n’ait pas trouvé absolument son compte dans les événemens d’Orient, c’est possible ; il eût préféré peut-être voir la Russie acquérir de la gloire et s’épuiser pour longtemps dans une guerre d’ostentation. M. de Bismarck peut avoir ses idées, mais il n’est certainement pas allé à Salzbourg pour proposer à l’Autriche d’intervenir en Orient au profit de la Russie. Les deux chanceliers ne sont pas probablement allés au-delà d’un témoignage très platonique de sympathie pour leur grand allié, le tsar. C’est bien le moins qu’on doive à l’alliance des trois empereurs.

De toute façon, si les cabinets de Vienne et de Berlin voulaient agir sérieusement dans l’intérêt de la paix, ils ne le pourraient qu’avec la coopération de toutes les puissances, c’est-à-dire de l’Europe. Pourquoi la Russie n’accepterait-elle pas une intervention de ce genre exercée au nom de l’Europe ? Le courage de ses soldats a mis hors de cause son honneur militaire. Pour sa politique, elle a toujours déclaré qu’elle ne recherchait point de conquêtes. La Porte, de son côté, ne s’est jamais refusée à de larges améliorations en faveur des populations chrétiennes, même à une certaine autonomie de la Bulgarie. Elle peut sans déshonneur aujourd’hui pousser les concessions aussi loin que possible. Pourquoi donc n’en reviendrait-on pas à reconnaître que cette question d’Orient, si souvent agitée, si vainement débattue par les armes, ne peut être résolue, autant qu’elle puisse être résolue, que par la paix, par la diplomatie, dans un sentiment supérieur d’équité, d’équilibre et de civilisation ?


CH. DE MAZADE.