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II

Pittsburg, ville de 90,000 âmes, située sur l’Ohio, au point où cette rivière reçoit les eaux de la Monongahela et devient navigable pour des bateaux d’un fort tonnage, est placée au cœur de la région où s’extrait le pétrole. C’est un des centres industriels et commerciaux les plus actifs des États-Unis. D’immenses entrepôts y reçoivent les céréales de la vallée de l’Ohio, amenées par la batellerie à destination des états atlantiques. Les villes d’East-Liberty et d’Alleghany, qui ne sont que ses faubourgs, renferment en grand nombre des laminoirs, des fonderies, des clouteries, et des usines de toute nature. Plusieurs lignes importantes de chemins de fer s’y croisent ; les gares, les dépôts de matériel, les halles à marchandises y couvrent des espaces considérables, et le mouvement des trains y est continuel. Les raisons qui avaient fait désigner Martinsburg pour donner le signal de la grève sur le Baltimore et Ohio avaient fait choisir Pittsburg comme point de départ de la grève sur le Central-Pensylvanien.

Le 19 juillet, à midi, les chauffeurs et les gardes-freins attachés à cette compagnie refusèrent de faire leur service, alléguant pour motif que la direction, en portant de 18 à 36 le nombre des wagons de chaque train de marchandises, et en allongeant les parcours à effectuer par les agens, se ménageait les moyens de supprimer la moitié du personnel de la petite vitesse. Quinze trains étaient formés, et devaient quitter la gare de Pittsburg dans la journée : les mécaniciens et les agens qui se présentèrent pour les mettre en marche furent arrachés de dessus les machines ou chassés à coups de pierres : un employé supérieur de la compagnie fut grièvement blessé. Les mêmes faits se produisaient à la gare d’East-Liberty, où les employés de la compagnie étaient contraints à cesser tout travail. Les grévistes obéissaient aux commandemens de Robert Ammon, l’un des fondateurs de la Train men Union, venu à Pittsburg pour prendre la direction du mouvement. La police municipale opéra quelques arrestations, mais tous les hommes qu’elle essaya de conduire en prison furent arrachés de ses mains et emmenés en triomphe. Comme les trains qui arrivaient de toutes les directions étaient arrêtés et retenus, 900 wagons, avant la fin de la journée, encombraient les voies : les arrivages de la nuit en portèrent le nombre à 1,500. Chaque fois qu’un train était désemparé et conduit sur une voie de garage, ce nouveau succès était salué par des acclamations auxquelles il était répondu de toutes les tavernes du voisinage. Sur la demande des administrateurs de la compagnie, le shérif du comté se rendit, à minuit, au milieu des grévistes, et