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monterait sur le premier qu’on mettrait en route. Le général était sans cesse interrompu : « Que venez-vous faire ici avec vos soldats ? Emmenez-les ! — Aucun train ne partira ! — Nous vous descendrons à coups de fusil ! » — tels étaient les cris qui s’élevaient du sein de la foule.

On fit évacuer la gare non sans peine, et pendant qu’on affichait et qu’on distribuait la proclamation du gouverneur, le général Pearson tint conseil avec les autorités locales. Un très petit nombre de miliciens de Pittsburg avaient répondu à l’appel de leurs chefs ; on ne pouvait rien tenter avant l’arrivée des troupes annoncées de Philadelphie et qui ne furent rendues à Pittsburg que dans la soirée. Le lendemain 21, la milice locale était enfin sur pied : elle fut employée à garder la gare d’East-Liberty, et les voies qui la réunissent à la gare centrale ; mais une partie des miliciens, appartenant à la population ouvrière, ne dissimulaient point leurs sympathies pour les grévistes : les autres étaient intimidés par l’attitude de leurs camarades, par les masses sans cesse croissantes qui affluaient à Pittsburg et par les menaces dont ils étaient l’objet. Il fut impossible de les déterminer à agir contre les grévistes. « Que voulez-vous que je fasse ? répondit le général Browne au shérif qui aurait voulu essayer de faire partir un train ; mes hommes ne m’obéiront pas, et je n’ai aucun moyen de les y contraindre. C’est le règne de la terreur. »

Les miliciens venus de Philadelphie avec le général Brinton, et campés à l’intérieur de la gare, étaient animés d’un meilleur esprit. En attendant l’arrivée des renforts qu’on avait dû demander au gouverneur, en présence de l’attitude de la milice locale, on résolut de renouveler la tentative de faire partir un train, et d’opérer quelques arrestations. Le juge fédéral du district remit au shérif des mandats d’amener contre les principaux meneurs. Vers cinq heures du soir, ordre fut donné aux miliciens de Philadelphie de dégager la voie principale dans fa traversée de la ville. Deux détachemens par lesquels on fit successivement charger la foule furent impuissans à la disperser, et furent ramenés en arrière. On fit alors avancer une colonne d’infanterie la baïonnette en avant. Les émeutiers essayaient de désarmer les miliciens : ils saisissaient leurs baïonnettes en disant : « Est-ce que vous voudriez tirer sur des ouvriers ? » Quand la foule eut reculé quelque peu, les soldats s’arrêtèrent : le shérif, s’avançant dans l’espace demeuré libre, donna lecture de la loi sur les attroupemens, et annonça qu’il était chargé d’arrêter quinze personnes dont il lut les noms. A l’appel de son nom, un des individus désignés s’avança vers le shérif comme pour le braver, et, se retournant vers la foule, il agita son chapeau en l’air en criant : « Donnez-leur l’enfer. » C’était sans doute un signal, car