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aux salles d’attente et jusqu’au buffet. Si le vent avait changé de direction, la ville entière pouvait devenir la proie des flammes. Les pompiers accourus n’eurent permission que de protéger contre le feu les propriétés voisines de la gare : tout ce qui appartenait au Central-Pensylvanien dut être abandonné aux flammes. Le dernier bâtiment incendié fut le grand grenier à blé, immense construction de sept étages qui renfermait 45,000 boisseaux de blé. Une colonne de flammes de plus de 100 mètres de haut s’élança au-dessus du toit. Toute la nuit, Pittsburg fut éclairé par ce phare sinistre, tandis qu’une ceinture de feu de près d’un kilomètre entourait un des faubourgs : c’étaient les centaines de wagons accumulés sur la voie qui achevaient de se consumer.

De Pittsburg, la grève s’était étendue sur tout le réseau du Central-Pensylvanien et se rapprochait de plus en plus de Philadelphie. A Altoona, les autorités, intimidées et sans force aucune à leur disposition, avaient dû laisser le champ libre aux grévistes, qui avaient fait cesser tout service et interdit tout travail dans les ateliers de la ville. En enlevant une partie des voies, ils arrêtèrent au passage deux régimens de milice envoyés à Pittsburg par le gouverneur, et qui prirent le parti de retourner sur leurs pas. A Harrisburg, capitale de la Pensylvanie, on avait voulu réunir des forces assez considérables ; mais les miliciens, appelés de Scranton et de la région houillère, refusèrent tout service, déclarant qu’ouvriers ils ne voulaient pas tirer sur des ouvriers ; ils abandonnèrent leurs officiers et s’en retournèrent chez eux. Un détachement avait été envoyé de Philadelphie par le chemin de fer ; le mécanicien fit dérailler le train à Rockville, à quelque distance d’Harrisburg ; les chefs du détachement crurent devoir le faire camper, mais, à la nouvelle de ce qui se passait, la plupart des hommes désertèrent pendant la nuit. Le lendemain, ce qui restait du détachement se trouva entouré par les émeutiers d’Harrisburg, et se rendit à eux. Les émeutiers ramenèrent triomphalement leurs prisonniers, leur firent parcourir la ville et les congédièrent en gardant leurs armes et leurs munitions. Le gouverneur fut réduit à faire venir de nuit et à pied quelques compagnies de milice sur lesquelles il croyait pouvoir compter, et leur fit occuper l’arsenal de l’état ; quant à la ville, elle demeura au pouvoir de l’émeute. A Reading, autre centre industriel important, les grévistes, aidés de nombreux ouvriers accourus du voisinage, avaient commencé par brûler le pont magnifique établi sur le Schuylkill à Lebanon. Après avoir ainsi coupé les communications dans la direction d’Harrisbùrg, ils entreprirent d’enlever les voies du côté de Philadelphie. Ils furent arrêtés dans cette œuvre de destruction par un corps de miliciens, appelé d’Allenton pour protéger contre leurs menaces d’incendie la gare et les