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jour qu’après qu’ils l’ont conquis par leur adresse, en triomphant des obstacles. Ils vivent en des lieux infestés de serpens ; mais Circé et Médée, les deux filles d’Aétès, leur ont transmis le secret d’une science magique. Ils composent des philtres qui guérissent les morsures empoisonnées. Ils savent, par leurs incantations, forcer le reptile à sortir malgré lui de sa retraite obscure ; en vain, pressentant sa défaite, il se défend contre les accens du charmeur, en vain il bouche une de ses oreilles en la collant au sol, et ferme l’autre en y appliquant sa queue : une force surnaturelle l’asservit, et il se traîne aux pieds du vainqueur, dont la seule voix peut lui briser le crâne et lui ouvrir les entrailles. Les poètes romains et les écrivains sacrés sont pleins de ces légendes[1]. Ils sont habiles à détacher la lune de la voûte céleste, à suspendre le cours des fleuves, à faire descendre les forêts des flancs des montagnes. Au temps de l’empire, des prêtres marses président à certaines divinations au cirque et dans les temples ; la nénie marse, les enchantemens sabins, marsa nœnia, sabella carmina, sont redoutés non pas seulement des reptiles, mais des hommes ; les bourreaux des premiers chrétiens emploient ces sortilèges à tourmenter leurs victimes, et la tradition se perd si peu dans les temps modernes qu’on voyait se célébrer encore il y a dix ans, à Cocullo, à l’est du lac, une fête où les charmeurs, après avoir rempli de cire la dent creuse des vipères pour les rendre inoffensives, les maniaient familièrement.

Rome eut ces peuples pour ennemis, puisqu’ils prétendaient garder leur indépendance après qu’elle eut vaincu et, peu s’en faut, anéanti, malgré leurs nombreuses forteresses, les Équicoles et les Èques établis au nord-ouest du lac, dans la célèbre plaine de Tagliacozzo. La défaite des Marses, malgré leur alliance avec tout le Samnium, devint inévitable à partir du jour où la petite ville d’Albe du Fucin, au nord, fut enlevée aux Èques et devint colonie romaine, en l’année 302. Nous n’avons pas à reprendre les traits connus de l’histoire générale, la défaite des Marses, ce qu’ils rendirent à Rome, une fois soumis, d’énergiques services, leur révolte ensuite, si menaçante pour l’unité romaine lors de la terrible guerre sociale. Il faut toutefois, quand on visite la Marsique, avoir présens à l’esprit ces souvenirs que sollicite et ranime l’aspect des vestiges de l’antiquité encore subsistans.

Tout autour de l’ancien lac, des villes et des bourgs, dont quelques-uns maintenant bien misérables, attestent par leurs noms et par leurs ruines une ancienne prospérité. Albe par exemple, construite sur trois collines entre le mont Velino, un des plus élevés de la péninsule, et la rive septentrionale du lac, offre un curieux

  1. Voyez le psaume 57 ; Horace, Epodes, 17 ; Onde, Silius Italicus, saint Augustin.