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évidemment pathologique qu’ils présentent ne permet pas de méconnaître la différence fondamentale qui sépare l’état qui suit immédiatement le sommeil, de la folie.

Les mêmes considérations s’appliquent en partie au somnambulisme. Plus voisin de la folie que le rêve, parce que les sens du somnambule sont plus ouverts aux relations du monde extérieur que ceux du dormeur, il en est plus éloigné, parce que le trouble des facultés intellectuelles y est moindre.

Il semble qu’avec l’hallucination nous soyons en plein dans le domaine de l’aliénation mentale. Et de fait, quand elle présente un caractère effrayant, l’hallucination, sans être précisément la cause de la folie, en est un des symptômes et révèle une excitation pathologique de l’organisme cérébral. Dans ce cas, surtout si l’hallucination est persistante, il est bien difficile de faire peser sur le criminel une responsabilité quelconque. M. Despine cite le double assassinat de deux vieillards par leur fils que poursuivaient depuis plusieurs jours des voix lui répétant : « Il nous faut des cœurs, nous avons absolument besoin de cœurs, procure-nous-en. » — A table, ces voix sortaient de son assiette ; au lit, de son oreiller. Ne sachant où prendre ces cœurs, il songe d’abord à tuer son frère et sa belle-sœur ; il va chez eux, mais ne les trouve pas. Il rentre à la maison, saisit une casserole, casse la tête de sa mère, tue d’un coup de hache son père, qui s’était élancé sur lui, arrache les deux cœurs, qu’il fait rôtir dans le four du poêle, cherche alors un rasoir pour se couper la gorge, et, ne le trouvant pas, finit par s’endormir profondément. Cet homme avait toujours manifesté un caractère doux et inoffensif ; il n’avait contre ses parens aucun motif d’animosité. L’hallucination a été ici la première manifestation de la folie, et aucun jury, croyons-nous, ne pourrait hésiter à absoudre.

Mais l’hallucination n’a pas toujours ce caractère effrayant ; elle n’est pas toujours le signe d’une grave perturbation cérébrale et peut laisser intactes les facultés intellectuelles. En conséquence, M. Parchappe a posé le principe généralement admis aujourd’hui que l’hallucination existe souvent sans la folie. Même quand elle est accompagnée de la croyance à la réalité de l’objet qu’elle représente, elle peut être le résultat d’une simple excitation passagère de l’activité cérébrale, provoquée par une méditation intense ou l’exaltation des sentimens les plus nobles : patriotisme, amour de la patrie, amour de Dieu. Si l’hallucination était toujours un signe de folie, il en faudrait conclure que quelques-uns des plus grands personnages de l’humanité furent de véritables aliénés ; Socrate, Mahomet, Luther, qui tous prétendaient entendre des voix ou recevoir l’inspiration directe de la Divinité, n’échapperaient pas à cette accusation. On sait que telle fut la thèse soutenue par le regretté