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sa bravoure, cette population maorie peut être regardée comme la première en tête de toutes les races sauvages ; mais cette bravoure qui va comme d’un bond jusqu’à la plus excessive férocité, et cette intelligence qui frise la perversité, communiquent à toutes ses actions quelque chose de véritablement diabolique bien fait pour donner raison à cette opinion de certains vieux théologiens qui voyaient dans les sauvages des sujets et des serfs de Satan. Durant ses excursions dans les régions du nord, on montra à M. Trollope une île placée dans un lac, où, selon la légende locale, une jeune fille maorie, renouvelant l’exploit de Léandre, se rendit jadis à la nage en entendant les sons de la flûte de son amant. C’est une légende toute gracieuse, n’est-il pas vrai, et qui rappelle au souvenir ces filles d’Otahiti venant à la nage, couronnées de fleurs, au-devant des matelots européens ; malheureusement il nous faut ajouter un tout petit détail qui fait, avec le reste de l’histoire, une dissonance lugubre, c’est que cette flûte était formée d’un tibia humain probablement dépouillé de ses chairs enveloppantes pendant un repas de cannibales. Il y a de la poésie dans les mœurs et les actions des Maoris ; mais cette poésie est invariablement marquée d’une teinte sinistre, et la légende que nous venons de rapporter en est une parfaite image. M. Jules Verne, dans une de ces amusantes vulgarisations dramatisées des résultats de la science et des explorations : géographiques modernes dont il est l’ingénieux inventeur, a rendu avec intelligence ce caractère sinistre de la population maorie, et a réussi à en tirer quelques effets de terreur très suffisamment saisissans, même pour un lecteur blasé sur les émotions littéraires.

La coutume de l’anthropophagie est la détestable racine de cette poésie empoisonnée. On sait les scènes effroyables dont ces îles ont été le théâtre depuis deux siècles, et combien les équipages de Tasman et de Cook, et surtout celui de l’infortuné Marion de Frêne, ont eu à payer chèrement leur gloire d’explorateurs. Cette coutume est abominable ; mais, en vérité, nous serions presque tenté de l’excuser tant les conditions particulières dans lesquelles se sont trouvés les Maoris nous en font toucher du doigt la raison d’être naturelle et quasi légitime. La Nouvelle-Zélande se distingue par une absence absolue de faune. Pas d’opossums et de kangourous auxquels on puisse faire la chasse comme en Australie, et sauf une certaine variété de rats dont les naturalistes, paraît-il, nient même le caractère indigène, pas d’autres représentans de la vie animale qu’un certain nombre de genres d’oiseaux. C’est aux oiseaux que ces îles semblent avoir appartenu sans partage jusqu’à l’arrivée des Européens. Jadis, le roi de ces solitudes était une sorte de casoar gigantesque, mesurant douze ou treize pieds de haut, le moa, disparu depuis des siècles, — bien qu’il ne soit pas