Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 23.djvu/886

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

témoignages irrécusables de la sagacité politique des chefs maoris : la ligue de la terre et la création d’une royauté néo-zélandaise. La ligue avait pour objet d’empêcher les terres de tomber entre les mains des colons, et dans ce dessein les chefs maoris employèrent les moyens coercitifs les plus rigoureux envers les tribus disposées à entrer en marché avec une vigueur et une discipline dignes de grévistes européens résolus à interdire tout travail à d’autres conditions que celles par eux imposées. Cette ligue, qui commença en 1848, fut pendant des années la pierre d’achoppement de la colonie, qui ne pouvait se développer, se heurtant sans cesse contre cette résistance habilement organisée. Le second moyen, la création d’une royauté néo-zélandaise, est encore plus remarquable. Jusqu’à la fondation de la colonie, la population maorie avait été gouvernée par une véritable oligarchie dont les membres, divisés d’intérêts comme d’ambitions, se faisaient mutuellement la guerre, et qui, dans les premières luttes, ne purent et ne voulurent pas par conséquent opposer à l’ennemi une force d’ensemble. « Nos ennemis sont forts, se dirent-ils enfin, parce qu’ils ont une souveraine de laquelle tous dépendent et à laquelle tous obéissent ; faisons comme eux, et nous les vaincrons. » Ils créèrent donc un roi à l’imitation de l’Angleterre, et élurent le chef te Whero-Whero sous le nom de Potatau. Depuis cette époque, la Nouvelle-Zélande a été partagée en deux parties tranchées, les tribus dont les chefs ont suivi la faction du roi, les tribus qui ont préféré contracter amitié avec l’Angleterre. Cela était mieux que bien raisonné, il faut en convenir, car cela était vraiment noble et patriotique. Combien dans les vieux états les plus civilisés trouverait-on d’exemples d’oligarchies aussi promptes à sacrifier au bien commun leur pouvoir et leurs intérêts particuliers ?

La guerre ainsi longuement préparée éclata en 1861 dans la province de Taranaki, de l’île du Nord, où nous avons déjà vu les différends entre les Anglais et les Maoris au sujet des terres vendues par droit de conquête. Un natif, dont le nom de Teira a été anglicisé en celui de Taylor, voulut vendre certaines terres par lui possédées, mais le chef de sa tribu, William King, s’y opposa en vertu des interdictions fulminées par la ligue dont nous venons de parler, et il trouva, pour appuyer son opposition, un allié puissant dans le chef de la tribu de Waikato, affublé comme lui d’un nom anglais à l’instar des Peaux-Rouges d’Amérique, William Thompson, Les indigènes furent d’abord battus, et une trêve de deux ans s’ensuivit, pendant laquelle le gouverneur, sir George Grey, assisté de toutes les autorités coloniales, depuis son premier ministre jusqu’à l’évêque anglican, s’efforça d’amener les rebelles à céder les terres