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et capable de toute violence. Ses scrupules n’étaient point excessifs ; ayant aperçu au ministère une caisse close dont il avait inutilement demandé les clés, il fit appeler par voie de réquisition un fabricant de coffres-forts, qui se vit contraint, malgré qu’il en eût, de briser une serrure dont il ne connaissait ni le mot, ni le secret. La caisse contenait onze cents francs et deux grandes médailles d’or. On peut admettre que l’argent fut employé pour les besoins du ministère, mais on est en mesure d’affirmer que les médailles n’ont jamais été retrouvées. On n’a pu en découvrir trace, ni dans les comptes de Matillon, ni dans ceux d’un certain Velty, ancien employé de commerce., qui faisait près de lui office de caissier. À ces hommes, dont la moralité pouvait inspirer une confiance réservée, Latappy, qui valait beaucoup mieux qu’eux, adjoignit une de ses vieilles connaissances, « tombée dans le malheur. » C’était un sieur Peyrusset, qui, lui aussi, avait été capitaine au long cours, mais qui, depuis plusieurs années déjà, n’avait pu parvenir à s’embarquer, car, à force de naviguer sur des fleuves d’absinthe et de relâcher dans les estaminets, il était réduit à vivre d’expédiens et menait une existence problématique où les tares ne faisaient point défaut. Ce Peyrusset, dont l’inconduite avait été telle qu’il fut obligé d’abandonner le commandement d’un navire de commerce pour s’engager en qualité de matelot de troisième classé, avait de la prestance et assez grande tournure. C’est à cela sans doute qu’il faut attribuer le titre de chef d’état-major du délégué à la marine que Latappy lui décerna ou lui laissa prendre.

Dès son entrée en fonctions, Latappy se heurta à une difficulté qu’il n’avait pas prévue, car il s’aperçut immédiatement qu’il était un délégué à la marine sans marine et sans marins. Il ne crut pas devoir notifier sa nomination à nos ports militaires, comme Paschal Grousset, délégué aux relations extérieures, avait notifié l’avènement de la commune aux puissances étrangères[1], mais il se mit en quête de ce qu’il pourrait bien faire, et finit par découvrir qu’il y avait à Paris une flottille de canonnières mouillée près du Pont-Neuf, à la presqu’île du Vert-Galant. Cette flottille a fait parler d’elle pendant le siége ; composée de quatorze canonnières munies de fortes pièces, elle avait plus d’une fois jeté le désordre et la mort parmi les

  1. « Le soussigné, membre de la commune de Paris, délégué aux relations extérieures, a l’honneur de vous notifier, officiellement la constitution du gouvernement communal de Paris. Il vous prie d’en porter la connaissance à votre gouvernement, et saisit cette occasion de vous exprimer le désir de la commune de resserrer les lions fraternels qui unissent le peuple de Paris au peuple de… »
    « Paris, 5 avril 1871. PASCHAL GROUSSET. »
    Cette notification fut adressée aux représentans de toutes les puissances étrangères accrédités auprès du gouvernement français. Il est superflu d’ajouter qu’elle ne fut l’objet d’aucune réponse.