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l’enthousiasme des premiers jours était passé, car depuis le 25 les batteries françaises de Sèvres, de Fleury et du Chalet avaient été démasquées. Les canonnières s’en étaient aperçues sans délai ; plusieurs avaient reçu de grosses avaries, des hommes avaient été blessés à bord ; on n’allait plus se promener au Bas-Meudon et l’an courait moins fréquemment bordée au-delà du pont-viaduc du Point-du-Jour. Les marins de la commune ne se gênaient guère pour déclarer qu’on les sacrifiait, qu’on les faisait massacrer ; que c’était toujours leur tour d’être sur la Seine, et qu’il était bien temps d’y envoyer des gardes nationaux à leur place. On était fort près de l’insubordinatiton ; plus d’un canonnier avait jeté son écouvillon et était parti en disant : « J’en ai assez ! » Latappy était inquiet. Très dévoué à l’œuvre insurrectionnelle, il eût voulu la servir, et s’apercevait que tous les élémens militaires dont il avait cru disposer n’étaient en somme que des élémens d’indiscipline et, par conséquent, de faiblesse. Les cours martiales, dont la commune commençait à user sans ménagement, pouvaient réprimer et punir un acte de révolte individuel, mais elles étaient impuissantes à réduire un groupe d’hommes déterminés à ne point obéir et à se soustraire à un service qui, de jour en jour, devenait plus périlleux. Latappy se contenta donc de faire un règlement qui n’accordait que deux heures aux officiers pour aller prendre leurs repas à terre, qui relevait les canonnière de quarante-huit heures en quarante-huit heures et qui fixait le chiffre de la gratification accordée à chacun des marins de la flottille.

Les choses n’en allèrent pas beaucoup mieux et finirent même par aller très mal, car l’armée française, se reconstituant aussi rapidement que le permettait le retour de nos prisonniers d’Allemagne, poussait en avant ses approches et commençait à jouer avec les canonnières un jeu dont celles-ci faisaient tous les frais. La commune avait beau multiplier les ordres du jour qui félicitaient « les braves marins » de leur bonne tenue et de leur conduite héroïque au feu ; les braves marins préféraient les canons du marchand de vin à ceux de leurs batteries flottantes, et, comme leurs officiers s’en allaient volontiers au moment du péril, ils n’estimaient pas manquer à leur devoir en imitant leurs officiers. Pendant les derniers jours d’avril et les premiers jours de mai, la flottille essaya ce que ses chefs appelaient des sorties ; quelques canonnières répétaient la manœuvre dont j’ai parlé, tiraient un coup de canon et revenaient s’abriter derrière le pont-viaduc. Ce tir, rendu très indécis par l’indécision même des hommes, ne causait aucun dégât aux batteries de l’armée régulière ; c’était de la poudre dépensée en pure perte ; le projectile mal dirigé éclatait en l’air ou frappait des terrains déshabités ; de la fumée, du bruit, et voilà tout. Le