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plaisante pas, — de former rapidement une batterie de marine montée, c’est-à-dire à cheval. Cette idée, digne d’avoir été conçue par l’amiral suisse dont il fut parlé dans une pantalonnade de nos petits théâtres, cette idée, tellement baroque qu’elle en devient invraisemblable, fut adoptée avec enthousiasme par le comité, de salut public, qui se piquait de vouloir sortir des vieilles ornières administratives. Il en sortait cette fois et par un coup d’éclat. La commission des finances ouvrit à Cognet un crédit que les bons de réquisition auraient dû rendre inutile. Il trouva des hommes, car il payait bien et distribuait double ou triple ration d’eau-de-vie. Où découvrit-il des chevaux ? Je ne le sais. Les écuries de la compagnie des omnibus et celles des voitures parisiennes avaient été bien dépeuplées pendant la guerre ; les chevaux étaient rares à Paris au temps, de la commune. Il réussit néanmoins à atteler ses pièces et à monter ses hommes. Cognet était triomphant, et Latappy se montrait fier, car, en somme, l’honneur d’une telle création rejaillissait singulièrement sur le ministère de la marine.

Le dimanche 21 mai 1874, la batterie, tout équipée, précédée d’une fanfare, déployant l’étendard rouge, sortit du Palais de l’Industrie, sous le commandement du colonel Cognet. Elle défila par les Champs-Elysées et se rangea, en bataille sur la place de la Concorde. Du haut de la galerie du ministère, Latappy, entouré de son état-major, la contempla avec attendrissement et se découvrit. Cognet salua de l’épée ; le peuple battit des mains. La batterie reprit sa route, survie, entourée par la fouler très étonnée de voir tant de marins à cheval ; elle parada dans la rue de Rivoli et vint devant l’Hôtel de Ville recevoir les félicitations des membres de la commune. Le délégué à la guerre lui transmit immédiatement l’ordre d’aller s’établir près de La Muette et d’éteindre le feu des batteries que les Versaillais avaient démasquées dans le bois de Boulogne. La batterie maritime à cheval partit pour se rendre au poste indiqué. Au moment où elle gravissait les pentes du Trocadéro, elle se heurta contre une avalanche humaine qui se précipitait en poussant des clameurs. C’était une troupe de fédérés qui fuyait à toutes jambes et criait : — Sauve qui peut ! Ils sont entrés, nous sommes trahis ! — Cognet fit volte-face et rentra au ministère.

L’armée française, en effet, avait forcé l’enceinte qu’un capitaine de frégate, M. Trève, avait franchie le premier. Le ministère de la marine allait-il être sauvé ? Oui ; mais après avoir traversé, pendant la dernière période de la commune et pendant la bataille des sept jours, d’émouvantes péripéties qu’il nous reste à raconter.


MAXIME DU CAMP.