Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 26.djvu/139

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

missionnaires espagnols, italiens et français pénétraient bien dans ces contrées, mais dès qu’ils manquaient d’habileté ou de prudence, des persécutions sanglantes les en chassaient. Il est utile également de rappeler ici la tentative que fit un Anglais nommé Lindsay en 1832, au nom de la compagnie des Indes, pour forcer l’accès des ports chinois. Cette compagnie, dont une des principales factoreries était établie à Canton, invita cet agent à se présenter avec des marchandises européennes devant les ports les plus importans. M. Lindsay fut partout accueilli, avec défiance et empêché, lui et son équipage, de descendre à terre. Son vaisseau, entouré partout de jonques défiantes, fut en tous lieux l’objet d’une surveillance jalouse. Un missionnaire allemand, du nom de Gutzlaff, accompagnait cette expédition. Pour inspirer de la confiance aux Asiatiques soupçonneux, M. Gutzlaff leur disait qu’il était médecin, et surtout très habile à guérir les maladies morales. Les mandarins lui envoyèrent des idiots et des infirmes ; le missionnaire, un peu désappointé, prescrivit aux malades l’absorption de poudres inoffensives ; mais, dès qu’il voulut leur parler de son Dieu, glisser dans leurs poches le livre divin, infirmes et idiots prenaient la fuite.

Cette expédition infructueuse coûta 150,000 francs à la compagnie des Indes. Des fonctionnaires indigènes qui avaient eu la faiblesse de prêter l’oreille aux discours de M. Lindsay se virent enlever leurs grades ; de simples Chinois furent bâtonnés seulement pour avoir reçu quelques petits cadeaux des barbares. Sur les côtes de Corée et des îles Lieu-Kieou, l’expédition eut le même résultat.

Les songes dorés que procure aux Célestes la drogue de Patna et de Bénarès firent plus pour l’ouverture des ports chinois que les tentatives de M. Lindsay et les pieuses supercheries de l’apôtre allemand. Une contrebande effrénée s’établit au détriment de la santé des infortunés indigènes entre les factoreries européennes et les marchands chinois de la ville de Canton. L’empereur voulut s’opposer à l’empoisonnement de son peuple, mais on lui fit voir par le bombardement de Canton en 1842 et par l’expédition anglo-française de 1860 qu’il n’était pas maître chez lui, qu’il lui faudrait, de gré ou de force, admettre dans Son empire la civilisation européenne, c’est-à-dire l’opium, nos liquides, nos tissus et les trésors spirituels apportés par des nuées de missionnaires anglais, américains, italiens, espagnols et français.

Dès lors on put croire la Chine définitivement ouverte. La compagnie orientale et péninsulaire dut doubler son service de navigation de Southampton à Shanghaï. Nos Messageries maritimes étendirent à leur tour leur exploitation déjà si considérable depuis Marseille jusqu’à Yokohama en touchant aux principaux ports du Céleste-Empire. Un flot d’Européens avides de gain, quelques-uns