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colonel Browne fit tous ses efforts pour connaître les circonstances du meurtre, mais ce fut en vain. La version la plus exacte est celle donnée par un Birman, qui raconta avoir vu Margary à Manwyne se promenant tantôt avec des Chinois, tantôt seul, dans la matinée du 21. Cet homme raconta aussi que Margary, sur l’invitation de quelques Chinois, avait quitté Manwyne à cheval, pour aller visiter une source d’eau chaude, et que dès sa sortie de la ville il avait été précipité du haut de sa monture et tué à coups de lance.

Ainsi se termina la seconde tentative que les Anglais firent pour pénétrer de Birmanie en Chine, et avec elle la vie d’un des plus nobles enfans de l’Angleterre. Nous allons voir quel parti favorable à ses intérêts cette nation essentiellement politique sut tirer d’une si tragique aventure.


III

Inutile de rappeler ici les longues négociations que M. Francis Thomas Wade, ambassadeur d’Angleterre en Chine, entama avec le gouvernement de Pékin pour obtenir réparation du crime de Manwyne. Les ministres chinois déclarèrent avec quelque apparence de raison qu’ils ne pouvaient se croire responsables de méfaits commis par des tribus sauvages sur lesquelles leur autorité n’était que nominale. Ils soutinrent, ce qui était vrai, que partout où cette autorité était réelle le voyageur Margary avait reçu un accueil bienveillant et comme nul Européen ne pouvait se flatter d’en avoir reçu. M. Wade se borna à dire et à répéter que l’assassinat avait été commis dans une ville chinoise, par des troupes chinoises, et qu’une réparation éclatante était due. Après vingt mois de pourparlers inutiles, le ministre anglais demanda officiellement son passeport, ferma avec éclat le palais de la légation, et se retira à Tien-sin, à bord de l’escadre anglaise, annonçant bien haut une déclaration de guerre à courte échéance. La Chine, alors sans ambassadeur à Londres, ne sachant rien de la guerre turco-russe, ignorant aussi, peut-être l’ignore-t-elle encore, que la France ne peut plus aider, comme autrefois, l’Angleterre dans ses guerres, la Chine, dis-je, se résigna. Mieux valait céder, en somme, que de voir une armée anglaise battre une seconde fois ses soldats, et marcher triomphalement sur Pékin pour en incendier les palais. M. Wade fut donc invité par le gouvernement chinois à se rendre à Che-fou, ville du littoral, afin d’y faire connaître les conditions de la paix. Son excellence Li-hung-chang, vice-roi du Chilhi, grand secrétaire de la chancellerie impériale, fut désigné pour entendre ces conditions et les discuter. Ce vice-roi est un homme courtois, d’une intelligence hors ligne et certainement capable de tenir tête sur un terrain