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la fois vis-à-vis de l’opposition du dedans et vis-à-vis des adversaires du dehors. Comment défendre efficacement dans les conseils de l’Europe une indépendance dont il avait été fait un si déplorable usage ? Comment demander à la nation anglaise de s’imposer des sacrifices pour venir en aide à un gouvernement dont on avait stigmatisé la conduite en termes aussi sévères ? L’Angleterre devait s’attendre à être prise au mot et mise en demeure d’accorder sa conduite avec ses paroles. Elle le fut en effet, et la réunion d’une conférence lui parut le seul moyen de sortir de ce mauvais pas.

Rien ne pouvait sourire davantage à la Russie que la réunion d’une conférence générale pour discuter les affaires d’Orient, Le fait seul de cette réunion constituait l’abrogation virtuelle de toutes les dispositions des traités qui avaient eu en vue d’assurer l’indépendance de la Porte. N’allait-on pas délibérer des affaires intérieures de la Turquie, et cela chez elle ? N’allait-on pas la mettre sur la sellette des accusés, au sein de sa propre capitale, passer au crible tous les actes de son administration et s’interposer officiellement entre elle et ses sujets, dont les réclamations, plus ou moins spontanées, ne manqueraient pas d’affluer à la conférence ? On voit avec quelle rapidité le cabinet anglais descendait la pente qui conduisait à la destruction complète du traité de Paris, sans s’apercevoir qu’il aboutirait fatalement à cette redoutable alternative d’avoir à souscrire au renversement de l’empire turc ou à en prendre la défense par les armes.

Arrêter par une solution quelconque, pourvu qu’elle fût immédiate, le développement de cette question d’Orient qui inquiétait déjà sérieusement l’Europe et qui menaçait de diviser le ministère anglais, tel est l’expédient qui s’offrit à l’esprit des collègues de lord Beaconsfield. Une soumission complète de la Turquie eût tout apaisé pour le moment, en sacrifiant tout, à moins cependant qu’elle n’eût suscité et encouragé de nouvelles exigences ; ce fut l’espoir d’emporter cette soumission qui dicta au ministère tory le choix du ministre des colonies pour représenter l’Angleterre à la conférence de Constantinople. L’âge n’a point amorti chez le marquis de Salisbury la fougue, l’ardeur et les saillies intempérantes qui caractérisaient les actes et l’éloquence de lord Robert Cecil. Le ministre des colonies, dont l’envoi avait été annoncé avec grand apparat, et qu’on avait voulu environner d’un prestige exceptionnel, se répandit en sarcasmes amers sur tout ce qu’il vit à Constantinople ; il cribla des railleries les plus acérées la constitution turque, qui ne valait, ni plus ni moins que les hatti-chérifs accueillis autrefois avec tant de faveur par l’Europe ; il s’agita et se remua beaucoup, et, malgré la pétulance de son langage, il n’intimida ni le sultan ni ses ministres.