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être enfreintes qu’au règlement de la paix, c’est-à-dire quand la guerre serait terminée. L’abstention eût été une désignation plus exacte de la ligne de conduite qu’on avait résolu d’adopter.

Lorsqu’au sein du parlement quelques voix s’élevèrent pour demander pourquoi l’on n’avait même pas tenté de rappeler la Russie au respect des traités, lord Derby répondit que les traités n’avaient de valeur et d’autorité, que par les circonstances et les combinaisons qui les avaient produits, et qu’ils devaient se défendre eux-mêmes ; qu’on était tenu de les observer, mais qu’on n’était point tenu de les faire observer par les autres, même lorsqu’on s’y était engagé. Cette thèse, au moins inattendue, pourrait aisément être ramenée à celle-ci, que la convenance est la règle de conduite des gouvernemens et la seule mesure de leurs obligations. Il est à peine besoin de dire qu’une pareille théorie, destructive de tout droit écrit, doit donner singulièrement à réfléchir à certains petits états, comme la Suisse, le grand duché de Luxembourg ou la Belgique, dont l’existence est placée sous la garantie collective de plusieurs puissances. Elle satisfit néanmoins le parlement anglais. Le souvenir de Navarin, évoqué à propos, eut raison d’une motion de M. Gladstone et des harangues des prétendus philanthropes qui regrettaient avec lui que l’Angleterre, pour en finir plus vite, ne se fût pas jointe aux ennemis de la Porte et n’eût pas employé la flotte anglaise à cette besogne : quant aux partisans de la Turquie, on leur ferma la bouche avec l’éloge des bienfaits de la paix.

Cependant le temps s’écoulait, les victoires des Russes se faisaient attendre ; mais rien ne semblait pouvoir faire sortir le cabinet anglais de son abstention. Une parole échappée, il y a quelques jours, à M. Bennigsen, au sein du parlement allemand, dans le développement de l’interpellation adressée à M. de Bismarck, à savoir « que la défaite des Russes à Plevna avait excité les plus vives alarmes pour la paix de l’Europe et le repos de l’Allemagne, » ne peut recevoir qu’une seule explication. Aussitôt après ce grave échec des armes russes, et pendant les quelques semaines qui furent nécessaires pour faire entrer de nouvelles troupes en ligne, on s’était sans doute attendu à Saint-Pétersbourg et à Berlin à une offre de médiation de la part de l’Autriche et de l’Angleterre ; et la Russie, résolue à repousser cette offre, aurait mis l’Allemagne en demeure d’appuyer ce refus. Une telle initiative était loin de la pensée du cabinet de Londres : non-seulement il laissa passer cette occasion qui pouvait sembler favorable, mais il n’appuya même pas la timide protestation de l’Autriche contre l’entrée en campagne des troupes roumaines : il n’essaya pas davantage de prévenir la nouvelle révolte de la Serbie. Il aurait pu, sans se départir de sa ligne de